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Dix ans de Mocopée : le SIAAP établit un bilan

25 avril 2024 Paru dans le N°472 ( mots)
© SIAAP

Le programme de recherche Mocopée a été lancé en 2014 par le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) avec des partenaires académiques. A l’occasion du colloque organisé ce 26 mars pour les dix ans de Mocopée, voici un premier bilan avec Vincent Rocher, Directeur délégué en charge de l’Innovation, la Stratégie et l’Environnement au SIAAP.

L’eau, l’industrie, les nuisances : A quels enjeux répond Mocopée ?

Vincent Rocher : De manière générale, l’assainissement francilien doit faire face à six grands enjeux. Tout d’abord, évidemment, l’atteinte des objectifs réglementaires et la réponse aux attentes territoriales. Au cadre déjà exigeant de la Directive Eaux Résiduaires Urbaines de 1991, dont la refonte vient d’être votée par le Parlement européen, s’ajoutent en effet des objectifs stratégiques propres à l’Île-de-France. Par exemple le Plan Qualité de l’Eau et Baignade engagé en 2016 : il s’agit de pouvoir nager dans la Seine à l’occasion des Jeux Olympiques, et au-delà. Ensuite, réduire notre empreinte carbone. Le SIAAP émet 700 000 tonnes d’équivalent CO2 par an, soit 2 à 3% des émissions du secteur « déchets » français. Nous sommes donc en position pour agir et contribuer à la Stratégie Nationale Bas-Carbone.

Troisième enjeu : la sobriété en énergie et en réactifs. Au fil des ans, nous avons construit des installations compactes, performantes, répondant aux exigences réglementaires mais « gourmandes ». En termes d’énergie, le SIAAP consomme actuellement un TWh d’énergie par an, la moitié sous forme d’électricité achetée, la moitié produite sur site. A cela s’ajoutent 100 000 tonnes de réactifs divers : chlorure ferrique, polymères, méthanol, nitrate de calcium, etc.

La récupération/valorisation des ressources constitue le quatrième enjeu. Il s’agit de changer de paradigme : l’eau usée devient une ressource, les STEU des pôles de transformation de matières. Nous devons encore pousser la récupération de la chaleur et des matières premières, donc réaliser des études pour sélectionner les technologies pertinentes, nous assurer qu’elles soient à l’optimum économique et environnemental.

Autre enjeu : nous adapter au changement climatique. L’Île-de-France concentre plus de 9 millions d’habitants sur les rives d’un fleuve au débit modéré. Malgré l’amélioration continue de la qualité physico-chimique et biologique de la Seine, notre système reste fragile, en particulier durant les étiages. En été, le débit de la Seine ne dépasse guère 70 à 80 m3/s, et le SIAAP y rejette 20 à 30 m3/s d’effluents ! Avec le changement climatique, les étiages deviendront probablement plus marqués, la chaleur plus élevée. Nous devons donc faire évoluer la gestion de notre système pour prendre en compte en temps réel la qualité du milieu récepteur. Cela suppose des outils métrologiques et numériques. Enfin, dernier enjeu : la gestion patrimoniale de notre outil industriel, à l’échelle du réseau d’assainissement francilien, soit 20 000 kilomètres de réseau, dont 400 kilomètres de gros collecteurs ou émissaires, le tout drainant chaque jour 2,5 millions de m3 d’eau usée vers nos six pôles de traitement, ce qui représente un patrimoine de 15 milliards d’euros. Il faut certes le faire évoluer mais ne pas sous-estimer l’effort nécessaire pour maintenir l’existant en état. Pour faire face à ces enjeux, nous devons utiliser plusieurs leviers et l’innovation technologique en est un essentiel, d’où le programme Mocopée.

L’eau, l’industrie, les nuisances : Pouvez-vous présenter rapidement le programme ?

Vincent Rocher : Mocopée (Modélisation, Contrôle et Optimisation des Procédés d’Epuration des Eaux) a été lancé en 2014 en partenariat avec l’Université de Technologie de Compiègne (UTC) et l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE). Il s’inscrit au cœur de notre démarche « inneauvation » et ses trois grandes lignes scientifiques. D’une part l’innovation métrologique : si l’on on veut maîtriser les émissions de protoxyde azote, de nitrites, optimiser la production de biogaz, contrôler notre impact sur le milieu récepteur, etc., il faut avant tout savoir les mesurer. D’autre part les outils de pilotage, notamment numériques. Nos procédés sont complexes et, pour en tirer le maximum, les opérateurs ont besoin d’outils aide au pilotage. Nous devons aussi développer des outils de maintenance et de gestion patrimoine. Enfin, troisième grande ligne : le rôle et la place de l’usine d’épuration dans la ville de demain. Nous devons repenser nos filières pour répondre à des exigences croissantes en termes de qualité des effluents, mais aussi envisager la revalorisation des matières, de l’énergie, de la chaleur…

Plus précisément, Mocopée a été organisé en quatre grands axes de recherche : métrologie-traitement du signal ; modélisation et contrôle-commande ; intégrité des systèmes de transport et de traitement ; concepts innovants, c’est-à-dire les technologies de rupture qui pourraient être intégrées dans nos filières.

L’eau, l’industrie, les nuisances : Quelles sont l’ampleur et la portée de Mocopée ?

Vincent Rocher : Avec deux millions d’euros de budget annuel, Mocopée regroupe une trentaine d’équipes sur autant d’actions de recherche. Plus d’une trentaine d’articles scientifiques ont été publiés depuis 2020 et 25 thèses soutenues ou engagées. Un site[1] internet, inneauvation, est dédié à la mise à disposition des articles, résultats, fiches d’innovation, capsules vidéo, etc. Nous souhaitons en effet que toutes les productions et avancées scientifiques et techniques soient accessibles et partagées avec le monde opérationnel. L’ouvrage collectif Innover dans les pratiques de maintenance et d’exploitation pour l’assainissement de demain, publié par les Editions Johanet, y est d’ailleurs disponible en pdf.

Par ailleurs, nous travaillons pour répondre à nos besoins mais les enjeux d’assainissement des autres métropoles ne sont guère différents. Si nos innovations peuvent servir à d’autre acteurs publics, tant mieux. Par exemple, nous allons céder à un industriel une licence d’exploitation sur le capteur Fluocopée que nous avons développé et breveté.

L’eau, l’industrie, les nuisances : Où se situe l’originalité de ce programme ?

Vincent Rocher : Mocopée se distingue par sa méthode. Si les trois organismes fondateurs n’ont pas la même mission, ils partagent une même culture de la recherche appliquée. Nous travaillons ensemble car nous visons l’innovation industrielle : il s’agit de transformer des résultats scientifiques en solutions opérationnelles. Nous avons donc beaucoup travaillé pour construire une chaîne d’innovation continue du laboratoire de recherche à la mise en œuvre industrielle, condition sine qua non pour obtenir des résultats concrets.

La zone inneauvation consacré aux recherches sur les membranes (crédit : SIAAP)

Cela se traduit par la mise en place d’une organisation originale. Elle est d’abord basée sur des programmes de recherche à long terme : nous nous donnons le temps d’aboutir. Le comité de pilotage du programme comprend des experts techniques du SIAAP et des chercheurs académiques. Chaque sujet est piloté par un « tandem » expert SIAAP-chercheur. Nous nous sommes également dotés de moyens d’expérimentation sur le terrain, sous la forme de « zones inneauvation » dédiées, pérennes, dans certaines de nos usines, notamment Seine aval. Cela permet de passer du laboratoire aux tests sur la filière : exposer des matériaux dans les bassins, construire et opérer des pilotes de taille semi-industrielle, etc. Le travail sur place, avec des exploitants, facilite également l’appropriation des nouveautés par ces derniers. Si une innovation (un prototype, une nouvelle méthode, un logiciel, etc.) passe ce cap avec succès, elle arrive en phase de pré-déploiement. Elle est alors confiée à des référents de la Mission Mutations Technologiques (MMT) qui prennent le relai des chercheurs. Il s’agit en effet d’exploitants volontaires qui installent cette nouveauté sur leur filière, pendant un an en moyenne, pour vérifier que son potentiel se confirme dans « la vraie vie », en situation réelle de production. Il y a actuellement une quinzaine de pré-déploiements en cours au SIAAP. Enfin, sur la base de ce pré-déploiement et d’éléments juridiques, administratifs, économiques, de ressources humaines, etc., nous décidons de déployer cette innovation sur nos outils industriels. Nos bons résultats proviennent de cette innovation organisationnelle au service de l’innovation technique.

La zone inneauvation consacrée aux recherches sur les émissions de protoxyde d'azote (crédit : SIAAP - Franck Beloncle)

L’eau, l’industrie, les nuisances : Pouvons-nous citer quelques exemples de réalisations ?

Vincent Rocher : Il faut évidemment citer le capteur Fluocopée qui mesure la matière organique. Des paramètres comme la MO, la DBO et la DCO se mesurent classiquement au laboratoire, or pouvoir les suivre en direct dans nos installations serait un atout important pour optimiser le traitement en temps réel. En 2012, nous avions déjà identifié le potentiel de la fluorescence pour mesurer les molécules organiques présentes dans les eaux usées. Avec l’Université Paris-Est Créteil, nous avons construit des modèles et réalisé un prototype de capteur - et déposé des brevets. En 2021, le prototype a été placé en pré-déploiement auprès de la MMT et il est aujourd’hui mature. Nous allons céder cet été la licence à un industriel sélectionné et l’appareil sera disponible en 2025. Nous allons déployer Fluocopée sur nos sites mais aussi en rivière pour suivre l’impact de nos rejets. Le SEDIF teste de son côté trois prototypes pour surveiller ses eaux de captage.

Par ailleurs, dès 2014, nous avons commencé à travailler sur des systèmes de mesure du protoxyde d’azote (N2O), lesquels n’existaient pas à l’époque. Ce gaz, naturellement émis par le procédé biologique d’épuration, représente en effet environ 40% de nos émissions de gaz à effet de serre. Dès 2015-2016, nous avons pu mener les premières campagnes de mesures… et constater que les émissions étaient beaucoup plus élevées que ce que prévoyait le GIEC[2]. Il nous a fallu comprendre comment il est émis et quelles sont les conditions d’exploitation les plus propices à son émission, et en parallèle faire évoluer les modèles numériques du fonctionnement de nos installations qui ne le prenaient pas en compte. Aujourd’hui, nous en sommes à la définition de modalités d’exploitation à déployer pour limiter les émissions : nous savons prendre en compte le N2O dans nos systèmes de régulation industrielle. Nous avons fait la même chose pour les nitrites, d’ailleurs.

Dans l’optique de permettre la baignade dans la Seine, nous avons également testé toutes les technologies de désinfection à faible empreinte économique et environnementale pour choisir un traitement complémentaire à appliquer à nos effluents. En 2017-2018, des études de laboratoire ont identifié l’acide performique. Un prototype a ensuite été déployé sur notre site de Valenton. Il a confirmé l’efficacité du procédé, son absence d’impact environnemental et sa compatibilité avec nos installations. Nous avons donc réalisé l’installation industrielle qui a été mise en eau en juin 2023 et va redémarrer en juin 2024 : nous serons prêts pour les Jeux Olympiques.

Nous avons aussi développé des outils numériques pour suivre et prédire l’état des membranes de filtration. Notre parc de 650 000 m2 de surface membranaire représente en effet une valeur plusieurs dizaines de millions d’euros. Estimer automatiquement la durée de vie restante des membranes à partir des données du process nous permettrait de ne les renouveler qu’à bon escient. Ces outils sont actuellement en cours de pré-déploiement.

La sonde Fluocopée sur le site de Seine aval (crédit : SIAAP - Franck Beloncle)

L’eau, l’industrie, les nuisances : La phase 3 qui commence verra-t-elle des inflexions thématiques ?

Vincent Rocher : Après deux premières phases quinquennales, Mocopée aborde la troisième sous le signe de la continuité thématique. Nous approfondissons en effet les mêmes quatre grands axes, en poussant les sujets un peu plus loin. Par exemple, nous allons désormais tester la capacité du capteur Fluocopée à estimer le potentiel méthanogène des boues, ainsi qu’à détecter et estimer quantitativement les bactéries fécales.

A cela viennent toutefois s’ajouter deux nouveaux axes transverses. D’une part l’empreinte environnementale : il s’agit de systématiser, quel que soit le sujet de recherche, l’interrogation sur le bilan carbone, l’analyse du cycle de vie, etc. D’autre part la maîtrise et sécurité industrielle, un vrai sujet pour nous, ne serait-ce que parce que nous opérons deux usines classées Seveso 2.



[1] Voir www.inneauvation.fr

[2] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat