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Le canal de la Sauldre, un canal « sans queue ni tête »

30 novembre 2020 Paru dans le N°436 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET

Le canal de la Sauldre qui naît à Blancafort (Cher) et se termine 48 km plus loin, à Lamotte-Beuvron (Loir et Cher) a cette particularité d’être le seul canal totalement isolé du réseau fluvial français. Construit pour le transport des marnes destinées à l’amendement des terres pauvres et acides, il sera condamné au déclin dès son achèvement du fait des modifications des pratiques agricoles et du développement des chemins de fer.  Il séduit aujourd’hui randonneurs et cyclistes attirés par le calme et le charme des paysages de Sologne.

Au début du 19ème siècle, la Sologne ne ressemble en rien à ce qu’elle est aujourd’hui. C’est une région pauvre, composée de marécages, d’étangs envasés et de landes clairsemées. Au milieu des territoires les plus riants, les plus fertiles de France, entre la Touraine et le Blaisois, la nature semble s’être acharnée sur cette région qui souffre de sols acides faute de calcaire et tantôt d’un excès d’humidité, tantôt d’un excès de sécheresse dû au sable. L’élevage, excepté l’élevage ovin, y est quasi inexistant, tout comme les cultures. L’absence de voies de communication praticables en toute saison, l’isolement des villages, le paludisme endémique et les épidémies qui s’y succèdent n’arrangent rien.
En 1848, dans le cadre de la mise en place des Ateliers Nationaux, l’État rachète le projet de canal et 13 kilomètres sont creusés entre juillet 1848 et mai 1849.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Bien entretenue au Moyen Age et à la Renaissance, la Sologne a bénéficié – au prix de gros efforts - d’une relative prospérité, grâce à des drainages intensifs, des étangs aménagés pour la pisciculture et des forêts giboyeuses, bien entretenues. Si tous les étangs ne datent pas du Moyen Âge, c’est bien à cette époque que la plupart d’entre eux furent créés afin de faire disparaître les vastes marais qui s’étaient formés à la suite de déboisements intensifs. Mais les guerres - celle de Cent ans puis les guerres de religion – sont passées par là, condamnant la Sologne à la pauvreté et à l’abandon. La période qui s’écoulera de la fin du règne de Louis XIV à la Révolution sera la plus noire de son histoire. Ce ne sont partout que steppes arides, couvertes d’un sable fin et gris, semblable à de la cendre. Les bruyères qui occupent les trois quarts des surfaces, ont peu à peu gagné sur les prairies. Les terres dévolues aux cultures sont sablonneuses composées d’un tuf rouge et blanc mêlé de petits cailloux. On n’y récolte au mieux que du seigle, du blé noir ou du sarrasin et en quantité bien insuffisante pour nourrir les populations.

Très tôt, des hommes tels Léonard de Vinci ou encore Lavoisier proposent des solutions concrètes : drainage, défrichement puis reboisement sur les mauvaises terres, développement des prairies artificielles pour l’élevage bovin, amendement des sols par la marne, un mélange naturel de calcaire, de sable et d’argile. Mais il faudra attendre le milieu du 19ème siècle pour que la Sologne, grâce au second empire, bénéficie d’un nouvel essor.

Au milieu du 19ème siècle, un nouvel essor

De 1825 à 1844, Adhémar Barré de Saint Venant, ingénieur des Ponts et Chaussées et hydraulicien, étudie la possibilité de donner un nouvel élan à la Sologne en améliorant la vie de ses habitants. Avec le concours d’un notable local, Alexis Soyer, maire d’Argent-sur-Sauldre (Cher), il popularise l’idée de la construction d’un canal à travers la Sologne auquel il attribue de nombreuses fonctions et avantages : drainage, irrigation, marnage, transport de marchandises. En 1846, une société privée, la Compagnie française d’irrigation, lance les premières études officielles en vue de construire un canal dérivé de la Sauldre pour apporter les marnes du Pays Fort. Mais très vite, le projet tombe à l’eau et dès la fin de 1847, la compagnie est liquidée. En 1848, dans le cadre de la mise en place des Ateliers Nationaux, l’État rachète le projet de canal aux liquidateurs et 13 km sont creusés entre juillet 1848 et mai 1849, date d’arrêt du chantier faute de crédits suffisants. On croit alors le projet définitivement abandonné. Mais la visite en Sologne du 22 avril 1852 du Prince-Président Louis Napoléon Bonaparte relance l’idée du canal. Quelques jours semaines plus tard, le 19 mai, le Prince-Président achète le château de la Grillaire à Vouzon et le 3 juillet, le domaine de Lamotte-Beuvron. Le 2 décembre, quelques semaines après la reprise des travaux, le Prince-Président devient l’ Empereur Napoléon III.
Une dénivellation totale de 62 mètres est compensée par un total de 22 écluses
d’une longueur de 27 mètres et d’une largeur de 2,70 mètres.

Mais malgré le soutien de l’empereur, l’affaire traîne en longueur. En haut lieu, on ne parvient pas à trancher entre deux projets bien différents : le premier, modeste, prévoit un canal limité à la jonction entre Lamotte-Beuvron et Blancafort. Le second, plus ambitieux mais aussi bien plus cher puisque sa longueur aurait été trois fois plus importante, ajoutait à cette section à un canal devant relier la Loire et le Cher. Après moult hésitations, on choisira finalement la solution la moins coûteuse. L’essentiel du parcours du canal, une trentaine de kilomètres sera réalisé entre 1852 et 1860, entre Blancafort et le Coudray. Une bien faible distance imputable à la faible mécanisation du chantier. En 1862, le réservoir de l’Étang du Puits qui alimentera le canal est achevé. Mais en 1876, les carrières de Launay, achetées par l’État en aval de Blancafort, sont en voie d’épuisement. Le gouvernement décide donc de prolonger le canal de 3,7 km en amont de Blancafort, jusqu’aux marnières de la Sablonnière. Ces travaux complémentaires sont réalisés de 1882 à 1885. Commencé trente-six ans plus tôt, le canal de la Sauldre atteint sa longueur définitive. Cette nouvelle section est ouverte le 14 juillet 1885.

Devenues inutiles, les écluses seront murées les unes après les autres, si bien qu’une réhabilitation du canal pour la navigation de plaisance, sans poser d’insurmontables difficultés techniques, coûterait très cher.

Au total, le canal s’étend sur 46,8 kilomètres et traverse les communes de Lamotte-Beuvron, Nouan-le-Fuzelier et Pierrefitte-sur-seine dans le département du Loir-et-Cher et Brinon sur Sauldre, Clémont, Argent-sur-Sauldre et Blancafort dans le département du Cher. Profond d’environ 1,50 mètre, il est traversé de 48 ponts. Sa largeur de 7,60 en moyenne est inférieure au gabarit Freycinet adopté sous la Troisième république. Une dénivellation totale de 62 mètres est rachetée par un total de 22 écluses d’une longueur de 27 mètres et d’une largeur de 2,70 mètres. Les six premiers biefs du canal de la Sauldre sont alimentés au moyen de deux prises d’eau dans la Sauldre. Le reste du canal, de l’écluse de la Grand-Planche jusqu’à Lamotte-Beuvron, reçoit à la fois des biefs supérieurs et du réservoir du Puits, un étang d’une superficie de 175 hectares, pouvant accumuler 6.300.000 mètres cubes d’eau.

Un canal « Sans queue ni tête »

Pendant quelques années, le canal connaît une activité satisfaisante. Les bateaux qui se succèdent sur les biefs, construits à Blancafort, mesurent 27 m de longueur sur 2,40 m de largeur. Ils peuvent transporter de 50 à 60 mètres cubes de marne. Jusqu’en 1900, la traction est principalement humaine. Deux hommes, un sur chaque rive, tirent la péniche. L’aller et retour Blancafort Lamotte-Beuvron demande alors presque 6 jours, soit 15 km par jour déchargement des matériaux compris. Après 1900, la traction devient animale. Un batelier guide l’animal sur la rive tandis que l’autre tient le gouvernail. L’aller-retour ne demande alors plus que trois ou quatre jours.
Aujourd’hui, seul chemin de halage, transformé en chemin de grande randonnée, attire encore quelques touristes séduits par les promenades exceptionnelles sur les berges ombragées du canal.

En 1874, pas moins de 640 transports de marne se succèdent sur le canal. Mais le trafic décline très rapidement. La concurrence du chemin de fer, réelle, n’est pas le plus important. L’élément déterminant vient du fait que le marnage perd une grande part de son intérêt avec l’apparition de la technique du chaulage, la chaux étant un amendement bien plus léger, d’emploi plus facile, et d’efficacité plus rapide. Surtout, le développement de l’industrie chimique et la fabrication d’engrais relèguent le marnage au rang des techniques lourdes et archaïques. L’évolution est très rapide : de 31.000 tonnes de marne transportées par le canal en 1874, on tombe à 19.000 en 1902, 6.500 tonnes en 1920 et 1.000 tonnes en 1922 ! La première guerre mondiale portera le coup de grâce au marnage, du fait de la mobilisation des hommes qui manqueront pour exploiter les carrières et épandre les amendements dans les champs. En 1923, seulement 168 tonnes de marnes transitent par le canal. Faute de rentabilité, les carrières de Blancafort doivent fermer. Le canal de la Sauldre, devenu inutile, est rayé de la liste des voies navigables le 28 décembre 1926. Pendant quelques années, jusqu’en 1940, de rares péniches circuleront encore pour transporter des matériaux tels que des pierres pour l’entretien des chemins et des routes.

Aujourd’hui ce canal de 48 kilomètres surnommé « sans queue ni tête » attire encore quelques touristes séduits par les randonnées pédestres, équestres et cyclo balisées exceptionnelles sur les berges ombragées d’un témoin silencieux de la première révolution industrielle. 
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