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La chimie verte au service des stations d'épuration

30 novembre 2015 Paru dans le N°386 à la page 88 ( mots)
Rédigé par : Maxime-de CAZOTTE, Gilles DELAISSE, Alexandra MARCHAND et 1 autres personnes

De nouvelles avancées en Chimie Verte ont amené le développement de produits novateurs utilisés dans le traitement des effluents industriels et dans la production d'eau potable. Après plusieurs essais pilotes réussis, il y a maintenant une quantité croissante d'applications à pleine échelle où les Technologies Vertes créent de la valeur pour leurs utilisateurs. On trouve parmi ces innovations les coagulants et les floculants biosourcés. Il est maintenant évident que dans de nombreuses applications ces produits sont au moins aussi performants que les produits synthétiques traditionnels, en termes de qualité de l'eau traitée et aussi en termes du volume de boues créées et de leur potentiel de revalorisation.

À la veille de la conférence pour le climat COP21, les entreprises françaises sont nombreuses à annoncer leurs engagements pour le climat. Veolia a publié en début d’année 2015 son manifeste de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise. Intitulé « Nos engagements pour un développement durable », ce document décline trois grands axes de travail : ressourcer la planète pour mieux gérer les ressources naturelles et préserver la biodiversité, ressourcer les territoires pour proposer et développer de nouveaux modèles de relations et de création de valeur, et enfin, des engagements pour les femmes et les hommes du Groupe pour garantir des conditions de travail saines, sécurisées et respectueuses des diversités et droits humains et sociaux. En fer de lance de cette feuille de route, on trouve une cible forte : réaliser en 2020 plus de 3,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires lié à l’économie circulaire.

Les travaux présentés dans cet article s’intègrent dans cette optique en proposant des solutions optimisées techniquement et économiquement intégrant les caractéristiques suivantes : utilisation de ressources renouvelables, partenariats avec des producteurs européens, réduction, voire élimination, des rejets non biodégradables et valorisation des boues.

Les filières de traitement des eaux usées, ou de clarification des eaux de surface/eaux fluviales intègrent quasi systématiquement un traitement chimique : des coagulants – souvent à base minérale, et des floculants polymériques – synthétiques sur base de produits pétroliers. Les coagulants classiques sont des produits avec une forte densité de charges positives qui neutralisent les charges négatives de l’effluent à traiter. Se forment sous ces interactions des agglomérats de solides autour du coagulant : des microflocs. L’étape suivante dans une installation classique consiste à rassembler les microflocs à l’aide d’un floculant.

Parmi les coagulants minéraux les plus utilisés figurent le chlorure ferrique (FeCl₃) et les composés à base d’alumine (Al₂O₃). Ces coagulants minéraux ont tous la particularité d’avoir un effet dépressif souvent très important sur l’alcalinité de l’effluent ; il est nécessaire de le compenser en dosant une base forte : hydroxyde de sodium ou lait de chaux. Les floculants classiques sont des polyacrylamides (PAM) plus ou moins greffés et/ou structurés, contenant en plus ou moins grande quantité des monomères.

[Photo : Fleurs et feuillage de l’Acacia Noir.]

acrylamides n’ayant pas réagi lors du process de fabrication du floculant.

Les boues générées par les filières de traitement qui utilisent ces produits contiennent donc du fer et/ou de l’aluminium, des monomères organiques et des additifs de correction de pH. La présence de métaux rend les boues impropres à certaines filières de réutilisation, et l’excès d’additifs basiques accroît significativement le volume de boues généré, et donc le coût associé à leur retraitement ou élimination.

Coagulants alternatifs :

les tanins

L’Acacia mearnsii, dit Acacia Noir (Image 1), est un arbre dont on peut extraire des tanins à partir desquels sont préparés plusieurs coagulants naturels biodégradables. Leur activité a été testée et comparée au chlorure ferrique ainsi qu’aux sels d’aluminium classiques. Dans les deux cas – voir le détail des retours d’expériences plus bas – le tanin a une efficacité meilleure ou comparable en termes de réduction de la demande chimique en oxygène (DCO) et des matières en suspension (MES) dans l’eau traitée pour des dosages entre 50 et 80 % inférieurs au niveau des procédés de clarification.

Autre avantage : le pH des tanins est beaucoup moins bas et leur teneur en chlorures plus faible (cinq fois moins en moyenne par rapport au FeCl₃ à 40 %) que celui des coagulants minéraux ; les risques liés à la manipulation et à la corrosion des installations sont donc significativement réduits. Plus notable encore : les tanins ne diminuent pas le pH de l’effluent traité, il n’est donc pas nécessaire d’ajuster le pH à l’aide d’une base forte pour se retrouver dans la plage de fonctionnement des floculants injectés en aval.

En découlent deux avantages très importants : l’élimination du risque chimique lié à la livraison, au stockage et à la manipulation des produits alcalins et la diminution significative du volume des boues produites. Ces produits contribuent également à l’augmentation de la volatilité des boues et favorisent leur valorisation par production de biogaz dans des processus de méthanisation. L’absence de métaux dans les rejets permet aussi plus de souplesse vis-à-vis des normes de rejet auxquelles sont soumis les sites industriels.

Enfin, sur des postes de traitement primaire, il est courant d’avoir à faire à des problèmes de colmatage des systèmes membranaires ou de filtration dus aux coagulants minéraux. Dans le cas des tanins, ces problématiques sont réduites et les coûts de maintenance le sont donc également.

[Photo : Pilote Actiflo®.]
[Photo : Fourchette d’abattement des MES, DCO et P-PO₄. Coagulant HYDREX® et FeCl₃ dosés à 76 ppm.]

Principale réaction du Chlorure Ferrique FeCl₃

2 FeCl₃ + 3 Ca(HCO₃)₂ → 2 Fe(OH)₃ + 3 CaCl₂ + 6 CO₂  
Fe(OH)₃ : boue hydroxyde de fer

Étant données les masses molaires respectives : 1 g de Fe génère 1,92 g de Fe(OH)₃.

En supposant que 100 % du Fer forme des hydroxydes (hypothèse basse), et que 4 litres de FeCl₃ commercial contiennent 200 g de Fe (solution à 41 %, densité 1,4) : 1 litre de FeCl₃ commercial → 200 g de Fer → 384 g de boues Fe(OH)₃ sèches.

Pour des boues de siccité 20 %,

1 litre de FeCl₃ génère 1,92 kg de boues à détruire (Fe(OH)₃ + H₂O).

À quoi s'ajoutent également les boues supplémentaires CaCl₂ et FePO₄.

[Photo : Figure 2 – Formation de boues supplémentaires par l'ajout de FeCl₃ et du lait de chaux.]

Un essai a été réalisé sur une station d'épuration municipale en Belgique sur un pilote de la technologie de clarification haut débit Actiflo® (image 2) pour mesurer l'efficacité des tanins au niveau de la clarification primaire (produits de la gamme HYDREX™) par rapport au chlorure ferrique en termes de clarification des eaux, de la quantité de boues produites et de leur composition (figure 1).

Les performances de clarification sont donc sensiblement les mêmes, à la différence près d’une réduction notable de l'abattement du phosphate. Suivant les filières de traitement, cela peut être un avantage notable, particulièrement en cas de mise en place de récupération et revalorisation des phosphates (cristallisation en struvite et autres processus…).

Les bénéfices démontrés par ce pilote en Belgique sont corroborés par un retour d'expérience sur la station municipale de Hyères-Carqueiranne (France-83), où une réduction de 34 % en masse de boues évacuées a été mesurée après 86 jours de tests, ainsi que sur une raffinerie française où le coût global des réactifs chimiques et de la destruction des boues a été diminué de 40 % environ. Dans un souci de réduction de coûts le traitement au tanin y avait été remplacé par un traitement traditionnel au chlorure ferrique, dont le coût par kg est plus faible. Suite au changement de traitement l'augmentation du volume des boues formées et donc leur coût de transport et leur destruction, ont augmenté significativement, au point d'annuler les économies réalisées sur les dépenses en réactifs chimiques, et même de les rendre insignifiantes. La figure 2 détaille les réactions chimiques en cause dans l'augmentation du volume de boues, et la figure 3 met en évidence les différents postes de dépenses qui sont liés à l'utilisation de chlorure ferrique sur cette installation.

[Photo : Figure 3 – Les boues supplémentaires : un poste de dépense parfois sous-estimé ?]

À première vue remplacer le tanin, plus onéreux par kilogramme que les sels ferriques, pouvait sembler économiquement justifié. Mais c'était sans compter sur les coûts cachés (figure 4) associés au traitement par FeCl₃. Globalement il est considérablement plus rentable de fonctionner avec le tanin. En voici encore quelques exemples.

Les coagulants à base de tanin ont été mis à l'essai sur une installation industrielle agro-alimentaire dans le département du Nord sur un flottateur de 2,5 m³/h, et ce depuis 2010. L'installation fonctionnait auparavant sur un traitement mixte PAC/DADMAC (sel d’aluminium + polymère organique). Pour un coût de traitement chimique identique de 12 000 €/an, l'exploitant a vu une économie totale annuelle de plus de 14 000 € : 3 000 € de réduction des dépenses en soude, 3 000 € de réduction de consommation en floculant, 8 000 € de réduction des coûts de traitement des boues. D'autres interventions sur les boues – notamment la réduction de leur teneur en eau – ont amené d'autres économies d'environ 18 000 € sur leurs coûts de traitement. Au total, cela équivaut à 50 % de réductions sur les postes produits et boues.

[Photo : Figure 4 – Le tanin : une alternative verte très viable.]
[Photo : Un champ de pommes de terre.]

été très satisfait de la performance de l'exploitation et a reconduit le contrat suite à un appel d’offres.

Sur un autre site dans le Pas-de-Calais, cette fois dans la pétrochimie, les tanins ont encore été très performants sur un flottateur. Sur cette station de 35 m³/h, les coûts de destruction des boues ont été réduits de 30 000 €/an. De plus, les rejets de chlorures et de fer ont été réduits respectivement de 7 500 kg et 3 900 kg par an et la qualité des eaux traitées s'est nettement améliorée (- 63 % sur les matières en suspension), avec un gain financier réel lié à une réduction de la taxe de rejet.

Au moment de la rédaction de cet article, tous les gains financiers n’ont pas été chiffrés.

Cependant, malgré l'augmentation du coût en produits chimiques (+ 8 000 €/an par rapport au traitement chlorure ferrique existant), il est d’ores et déjà évident que le passage aux tanins apporte au client des gains annuels qui s’élèvent au-delà de 25 000 €.

[Photo : Le dispositif HydraGreen.]

Floculants alternatifs : les amidons

Issue d’un partenariat exclusif entre Veolia et un producteur européen, leader mondial sur le marché des produits à base de fécule, une gamme de floculants à base d’amidon a été développée. Elle a fait ses preuves en remplacement des traitements traditionnels.

L’amidon de pommes de terre s’est avéré être une matière première de choix pour développer cette gamme : très largement disponible, l'amidon est également facile à modifier en fonction des besoins, aussi bien en formulation anionique qu’en cationique.

Préparés à partir de pommes de terre non-OGM destinées à l'industrie, les produits amidons sont 100 % biodégradables, entièrement non-toxiques et ne contiennent pas de métaux lourds.

Ils présentent également une bonne tenue en eau froide, avec des performances inaltérées jusqu’à 2 °C et, suivant les formulations, ils peuvent remplacer aussi bien des floculants que des coagulants.

De par leur structure, ils n’ajoutent dans les eaux traitées ni de trihalo-méthane, ni d’acide haloacétique et le résiduel de carbone organique dissous biodégradable (CODB) y est négligeable.

En cas de séparation membranaire en aval, par micro-filtration ou ultra-filtration, les amidons n’ont aucun impact sur leur encrassement (comme le biofouling par exemple).

Leur préparation sur site s'apparente à celle des polyacrylamides classiques, mais la différence de viscosité des produits fait qu’il est possible de les préparer en moyenne à des concentrations 10 fois supérieures, de l’ordre de 20 à 100 g/l.

Malgré ces concentrations beaucoup plus élevées, les amidons ne sont sources que de très peu de blocages des postes de dosage, contrairement aux PAM.

[Photo : Dissolution très rapide du polymère]
[Photo : Figure 5 : Schéma de l'usine de production d’eau potable.]

Il est important de noter que ces floculants répondent également à la norme AFNOR BS EN 1406:2009 Produits chimiques utilisés pour le traitement de l’eau destinée à la consommation humaine – amidon modifié ; ainsi qu’au standard ANSI 60 reconnu au niveau international et sur le marché nord-américain. Ils sont donc utilisables sur des applications de production d’eau potable.

Veolia a développé une installation préparante destinée à l'hydratation de poudres amidon. Livré clé-en-main, le système HydraGreen (image 3) est une solution compacte capable de préparer une solution de floculant activé très rapidement.

Avec un temps de contact de 80 secondes seulement, il n’y a aucun besoin de cuve de maturation : le floculant est préparé à la demande et est injecté directement en ligne avec de l’eau de service (image 4). L'absence de cuve élimine le risque de stagnation, et donc de développement biologique.

L'HydraGreen est fourni avec un module de contrôle permettant de délivrer une préparation à la concentration souhaitée en fonction du débit d'effluent à traiter.

Pour bien évaluer les performances des polymères amidon, ils ont été mis à l’étude sur une usine de production d’eau potable classique aux polyacrylamides ; la file 2 fonctionnait d’abord au même traitement puis a ensuite été basculée sur un traitement biosourcé utilisant une référence de la gamme HYDREX®, un floculant à base d’amidon (figure 5). Le but était d’évaluer les performances en termes de turbidité, carbone organique total, trihalométhanes et carbone organique dissous biodégradables dans l'eau clarifiée.

Sur la durée de l’étude, un volume d'eau total de 2 515 000 m³ a été traité par la file 2. La figure 6 résume les abattements moyens de la turbidité et du COT dans les deux files par rapport à l'eau brute, après la mise en place du traitement amidon HYDREX®.

[Photo : Figure 6 : Variation moyenne de la Turbidité et du COT.]

Sur un clarificateur haut débit Actiflo®. Deux filières de traitement ont été étudiées en parallèle : la file 1 utilisait un traitement

[Photo : Figure 7 : Comparaison des deux files sur les THM – eau traitée.]

Il apparaît que l'usage des amidons donne une turbidité plus qu’acceptable en clarification (< 1 NTU) et une légère amélioration de l’abattement du COT. Les figures 7 et 8 résument les résultats en termes de CODB et THM.

Cette étude met en évidence les bonnes performances des amidons par rapport aux PAM classiques. Sur le COT et la turbidité elles sont équivalentes, et il y a de légères améliorations en termes de CODB et de THM. À quoi vient s’ajouter l'absence totale d’acrylamides, qui est un point positif important pour certains clients. Veolia traite maintenant de nombreuses installations avec les produits à base d’amidon, dont quelques exemples sont listés dans le tableau 1.

Conclusion

Les nouveaux produits présentés dans cet

[Photo : Comparaison des performances des 2 files sur les THM.]

L’article rend compte de l’avancée des technologies vertes pour les applications d’épuration des eaux. Ces nouvelles technologies répondent d'une performance au moins équivalente aux traitements traditionnels, avec de nombreux avantages supplémentaires : réduction des interventions de maintenance dues aux colmatages de filtres, membranes et postes de dosage ; meilleure tolérance aux variations de température ; réduction du risque chimique lié aux bases fortes et aux coagulants classiques très acides ; réduction du risque d’attaques corrosives.

En parallèle, et en fonction de la nature de l'effluent, les boues peuvent ne plus contenir de métaux, être non toxiques et biodégradables ; leur volume est significativement réduit et leur volatilité est accrue. En conséquence directe du changement de traitement, les boues d’épuration biodégradables peuvent être réinjectées dans l’économie locale, en épandage agricole par exemple, ou revalorisées dans les filières de méthanisation.

[Encart : Tableau 1 – Quelques références de mise en pratique des produits amidon HYDREX PARMI NOS RÉFÉRENCES > Nantes - La Roche (France-44), 2016 – 8 000 m³/h > Cholet - Ribou (France-49), 2014 – 1 200 m³/h > Sablé sur Sarthe (France-72), 2014 – 1 200 m³/h > Romorantin (France-41), 2014 – 11 000 m³/h > Vitré - La Grange (France-35), 2014 – 500 m³/h > La Chesnaie (France-49), 2013 – 250 m³/h > Valmayor, Province de Madrid (Espagne), 2013 – 21 600 m³/h > Racon, Province d’Alicante (Espagne), 2012 – 550 m³/h > Vitré - La Bellière (France-35), 2012 – 750 m³/h > Annet sur Marne (France-77), 2012 – 150 m³/h]
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