Ces nappes de fibres ou de filaments synthétiques tissés ou non, voire tricotées, se sont imposés dans bon nombre d'applications pour assurer l'étanchéité, filtrer l'eau des sols, la drainer, séparer des matériaux, renforcer des fondations ou lutter contre l'érosion. Elles sont couramment utilisées dans bon nombre d'ouvrages de protection de l'environnement, des infrastructures de transports ou des ouvrages hydrauliques. Les produits sont de plus en plus élaborés associant plusieurs fonctions ou permettant de nouvelles applications. Les dernières recherches et applications seront exposées à La Rochelle du 24 au 26 mars lors des 10e Rencontres géosynthétiques.
Apparus à partir des années 1960, les géosynthétiques sont rapidement devenus indispensables dans beaucoup d’ouvrages. Environ 150 millions de m² sont posés chaque année en France pour une valeur d’environ 400 millions d’euros, 700 millions de m² en Europe et autant aux États-Unis et en Asie. Sous forme de nappes, de larges bandes ou de structures tridimensionnelles, ces produits conçus à partir de polymères (polyéthylène, polyamide, polyester, polypropylène, PVC, PEHD) s’étalent en grand sur le sol ou d'autres matériaux.
Il existe deux grandes familles : les géotextiles, perméables, qui peuvent assurer entre autres drainage et renforcement ; les géomembranes bitumineuses ou polymériques et les géosynthétiques bentonitiques, imperméables ou de faible perméabilité, pour l’étanchéité. Des géocomposites, plus récents, associent plusieurs produits pour combiner des propriétés. En France, l’association de certification Asqual garantit la qualité de 250 géotextiles et plus de 55 géomembranes produits par une quarantaine d’entreprises (Siplast, Tencate, Afitex, Terageos, Rénolit Alkorgeo, Maccaferri, Naue Applications, RYB Composites, Agru, Axter, Firestone, etc.)
ainsi que celle du soudage et de la responsabilité de chantier d’une centaine d’entreprises (Proterra environnement, Dorey, SodafGeo, ...). Cette certification, souvent exigée par les maîtres d’œuvre, ne couvre pas certaines applications de niche.
Forts de caractéristiques physiques, mécaniques et hydrauliques variées, on trouve ces matériaux en géotechnique, génie civil, dans le bâtiment, l’agriculture ou l’industrie : confinement de stockage de déchets, de sols pollués, d’effluents liquides, d’eaux usées, renforcement de terrain (fondation, remblai, berge, digue), stabilisation de chaussées, soutènement d’ouvrages d’art, tranchées drainantes pour routes ou voies ferrées, construction de bassins de stockage d'eau potable, de réservoirs de barrages, de canaux, etc. « Malgré une progression un peu ralentie ces trois dernières années, précise Yves Durkheim, vice-président du Comité français des géosynthétiques (CFG) et président d’Afitex, le secteur reste en fort développement avec une croissance annuelle d’environ 4 % en France, entre 5 et 10 % en Amérique du Nord, de 15 à 20 % en Inde. Difficile d'imaginer un chantier qui ne fasse pas appel, à un moment ou à un autre, à un géosynthétique ». Le dimensionnement est fondamental pour choisir le produit en fonction de la géométrie de l’ouvrage, des données géotechniques et climatiques, des contraintes d’exploitation.
Ces solutions ont largement fait leurs preuves, d'abord pour séparer des couches de matériaux de granulométrie différente pour éviter la migration des fines, puis pour l’étanchéité et le drainage de l’eau. Elles se substituent à des solutions traditionnelles plus énergivores, notamment en transport de matériaux (sables, cailloux, argile). « Selon les contextes, le ratio est de 1 à 500 voire 1000, précise Yves Durkheim : un camion suffit pour la conception d’un système de drainage de 5000 m² par géosynthétique au lieu de 1000 camions pour apporter les cailloux ». Une étude du CFG sur l’analyse de cycle de vie de géosynthétiques (filtration entre chaussée et sol, stabilisation chaussée routière, drainage stockage de déchets, soutènement talus) comparée à des solutions traditionnelles conclut que leur impact environnemental est moindre, parfois d’un facteur 20.
Étanchéifier, drainer et protéger les ouvrages
L’environnement est la principale application pour l’étanchéité, le drainage et la protection d’installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND), de stockages de déchets miniers, ou lors de l’exploitation. La réglementation française impose par exemple l’usage en fond d’ISDND d’une géomembrane (reconnue pour son étanchéité et sa résistance aux agressions chimiques) recouvrant un mètre d’argile et 5 mètres de limons, comme barrière de sécurité pour protéger les nappes phréatiques des installations appelées à durer plusieurs siècles. « Mais nous manquons toujours de données pour prévoir sa durabilité, explique Nathalie Touze-Foltz, responsable des recherches sur les géosynthétiques à l’Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et de l’agriculture), le plus important laboratoire en Europe sur le sujet. Sans autorisation de prélèvement sur site, comment savoir si nos résultats sont extrapolables, si les pres-
sions d’oxygène, les lixiviats utilisés, la température sont représentatifs ? Aucun test ne fait foi ».
On dispose en revanche de données fiables sur les géomembranes bitumineuses, largement utilisées, plus accessibles : des prélèvements de Siplast-Icopal et d’Irstea révèlent une bonne tenue sur 30 ans des géomembranes en bitume oxydé protégées des UV et jusqu’à 30 ans des bitumes élastomères non protégés. Certaines géomembranes d’étanchéité de bassins ou de barrages ont tenu 50 ans. Un projet d’annexe aux normes d’application des produits devrait bientôt préciser la durée de vie (5, 25, 50 ou 100 ans) des produits. Un arrêté est également attendu pour les ISDND. Des géosynthétiques bentonitiques (couche de bentonite – argile – entre deux géotextiles) pourraient renforcer la couche argileuse. Naue Applications, CETCO, Huesker ont récemment développé des produits combinant un géosynthétique bentonitique et un géofilm polymérique (de moins d’1 mm) pour améliorer la durabilité : le géofilm prévient la diffusion des ions calcium entre l’argile et le sol, principale cause de vieillissement. « Nous avons conçu un essai dédié à ces produits pour créer une norme française puis internationale, précise Nathalie Touze-Foltz. Outre les couvertures d’ISDND, ils pourraient être utilisés dans des ouvrages hydrauliques, des bassins de rétention de pollution, etc. ».
Ryb Composites propose, quant à lui, depuis fin 2012 des nappes de couverture d’ISDND soudables assurant à la fois drainage et étanchéité, pour un budget de fourniture et pose 3 à 5 fois moindre. Baptisé commercialement « Géomembrane drainante », ce produit « deux en un » a été installé à l’étranger et début 2014 par un gros opérateur français qui l’a aussi prescrit pour ses futurs chantiers (en largeur 4,3 m).
Autres exemples de confinement : le site de l’Andra à Soulaine-Dhuys (10) qui stocke des déchets radioactifs à très faible activité est en cours d’encapsulage depuis 2003 par Terageos. Les alvéoles de 30 000 m³ creusées dans l’argile, sont équipées de géocomposite drainant Teradrain, remplies de
déchets, puis encapsulées par un géocomposite soudé à celui de l’alvéole. Au bout de 5 ans, elles sont recouvertes par plusieurs mètres de sol et des géosynthétiques Teradrain et d’accroche terre Teracro. Pour éviter la dissémination de la pollution, Agru a pour sa part assuré à l’été 2012 le confinement d'un site Areva de conversion d’uranium (sud de la France) : l’étanchéité des 16 000 m² du site a été réalisée par quelques 600 palfeuilles Agru Lock sur 8 à 15 mètres de profondeur avec une géomembrane en PEHD de 2 mm, soudées avec des clés de raccordement. La pollution est bloquée, in situ, avec un résultat immédiat et peu de terrassement. Une barrière drainante devant le rideau de palfeuille permet si besoin de récupérer les polluants.
Tout autre domaine : les bassins d’alimentation des canons à neige de pistes de ski se multiplient. Terageos vient de fournir le système Teracro renforcé par câbles à 280 kN/ml en traction et doté d’une masse surfacique de 2 000 g/m² pour une retenue de 165 000 m³ à l’Alpe d'Huez avec plus de 25 000 m² montés en hélicoptère.
Agru avait conçu celle des Arcs (400 000 m³) en 2009 avec une géomembrane structurée en VLDPE. L'utilisation de géomembranes permet également d’augmenter les performances des installations de transport et de stockage d'eau pour l'irrigation tels que le canal d'irrigation en Australie (150 km de long) ou les bassins d'irrigation réalisés en Vendée, étanchés avec des géomembranes EPDM Firestone, dont la résistance aux UV et les propriétés mécaniques permettent de garantir leur efficacité sur de longues périodes en conditions exposées. À Ruan, la sucrerie Tereos a créé un nouveau bassin d'irrigation de 90 000 mètres carrés réalisé par Proterra environnement pour récupérer et stocker les eaux de nettoyage des betteraves.
Des applications toujours plus techniques
Les géosynthétiques sont aussi souvent utilisés dans les infrastructures linéaires (fossés routiers, plateformes routières et ferroviaires, canaux, ponts, tunnels…) notamment pour retenir et canaliser les effluents. « Les applications routières progressent lentement, reconnaît Yves Durkheim. Le poids des habitudes plaide encore souvent pour les matériaux traditionnels ».
Tout dépend du niveau d’information du maître d’œuvre… et des agréments.
L'avis technique de drainage sous remblai routier de l'Iddrim (Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité) pour le géocomposite de drainage Somtub FTF a ainsi permis à Afitex de gagner plusieurs marchés au Canada, en Amérique latine ou en Afrique.
« Au Sénégal, raconte Yves Durkheim, nous avons réhabilité la RN6 entre Ziguinchor et Tannaf : 200 000 m² de géocomposite ont été déployés pour renforcer la chaussée, une solution très pertinente dans un pays où infrastructures routières, camions et cailloux sont rares ».
Le produit a aussi été utilisé pour la construction de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux.
Pour le drainage, avec Isocor, RYB Composites propose, quant à lui, une solution pour pied d'ouvrage ou paroi verticale, largement utilisée depuis 10 ans sur les lignes TGV et désormais à l’export grâce à un agrément SNCF.
La tendance est à des applications toujours plus techniques à commencer par le drainage associé au renforcement, en général grâce à des géocomposites. « Ces produits à forte valeur ajoutée se développent plus vite que les marchés traditionnels, souligne Yves Durkheim, même s’ils ne pèsent que 10 % de la superficie appliquée. Fruit d’années de recherche, ils garantissent des caractéristiques (drainage, pression, colmatage, durée de vie de 80 voire 120 ans…). »
« Du fait de l’augmentation des prix de matériaux nobles et du souci de préserver des ressources naturelles, les géogrilles commencent à connaître un véritable succès, confirme Aristide Hehner, Naue Applications. Ils permettent de réduire l’apport de remblai et ouvrent la voie à la réalisation d’économies sur l’ensemble de l’ouvrage. »
Nathalie Touze-Foltz ajoute que la recherche française est en pointe, soutenue par quelques PME et PMI. Ainsi, suite à une thèse, Afitex a déposé un brevet en 2013 sur un géocomposite assurant drainage, renforcement mais aussi assèchement via un système de conduction d’électricité. Le produit, encore en phase de validation, sera dévoilé au second semestre 2015. Il permettra d’assécher les boues de station d’épuration, de récupérer et traiter les eaux des sédiments de dragages de ports ou de canaux ou encore d’assécher les boues de résidus miniers issus de l’exploitation de sables bitumineux dans l’Alberta (Canada).
La société Teragéos a développé de son côté une nouvelle gamme de géocomposites drainant renforcés par mini-drains et câbles, disposant de propriétés de friction accrues pour un meilleur résultat dans les applications de renforcement de plate-forme, tel que pour le chantier Ikea de Bayonne, réalisé en 2014. Des géocomposites intel-
La société Cultisol, qui prendra au 1er mai prochain la dénomination de Flexirub, propose une alternative aux traditionnelles géomembranes à souder sur les chantiers pour assurer l’étanchéité des ouvrages.
La PME bretonne conçoit et fabrique des systèmes d’étanchéité sur-mesure en EPDM pour des applications du génie civil, de l'environnement et de l'industrie. La géomembrane EPDM arrive prête à poser sur le chantier et il ne reste plus qu’à la dérouler en toute sécurité. En effet, toutes les soudures sont réalisées en usine pour faciliter la pose.
Cette technique est également disponible en trois dimensions, permettant ainsi de livrer une géomembrane tridimensionnelle qui respectera les formes du projet à étancher.
Lignes intelligentes sont aussi développées à l’instar des géotextiles de Tencate qui incorporent des fibres optiques pour mesurer des tassements à long terme (par exemple sous les voies ferrées) ou détecter des fuites sous des géomembranes. Dans le cadre du projet Depoltex, un produit permettant de capter les métaux lourds devrait être divulgué sous peu.
Côté matières premières, la fabrication de géosynthétiques naturels est maîtrisée mais les surcoûts restent trop élevés. Quant au recyclage, il commence à se mettre en place, les initiatives venant des producteurs à l’instar de RYB Composites qui propose depuis deux ans un géocomposite de drainage à base de polyéthylène recyclé. Certifié CE, il affiche certes une durabilité moindre mais pour un coût de revient significativement réduit.
Certains industriels ont choisi d’apporter une solution simple, rapide et qualitative aux entreprises de travaux publics.