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Une bonne exploitation des lits de boues plantés de roseaux

28 decembre 2014 Paru dans le N°377 à la page 71 ( mots)

La technique d'épaississement des boues sur filtre planté de roseaux est à présent bien maîtrisée par la plupart des constructeurs de station d'épuration. Il arrive malheureusement régulièrement que le principe de fonctionnement et les limites du système ne soient pas bien appréhendés par le personnel exploitant, conduisant encore à des écueils malgré une conception correcte. Ces échecs proviennent le plus souvent de la méconnaissance de quelques notions élémentaires et du non respect de deux ou trois règles extrêmement simples pour que ces lits macrophytes fonctionnent à merveille. Nous allons essayer de dresser ci-après la recette de la réussite.

Depuis les années 90, la filière de déshydratation des boues sur lits plantés de roseaux s’est généralisée sur notre territoire, à tel point que hormis la zone Nord et la zone Est de la France, cette filière semble constituer aux yeux des prescripteurs la solution idéale. Il est vrai que cette solution présente des avantages indéniables avec un coût d’exploitation hors curage proche de 0,00 € ainsi que des performances d’épaississement permettant, suivant les dimensionnements, d’atteindre des siccités s’étalant de 18 à 25 % après ressuyage et arrêt en vue de curage.

Ce niveau de performance place cette filière au niveau d'une centrifugeuse sans s'accompagner des coûts électriques et du conditionnement en polymères.

Il est à noter qu’un lit en cours d’alimentation régulière, donc en dehors d’une période d’amorçage ou d’une période pré-curage (lors de laquelle il est arrêté pendant plusieurs mois), présente une siccité de l’ordre de 12 % en moyenne.

Le coût d'investissement, en revanche, est sensiblement supérieur du fait de la superficie du terrain occupé et bien évidemment de la construction de ces lits, qu’ils soient en béton ou en déblais remblais.

Le choix entre ces deux conceptions structurelles est d’ailleurs purement idéologique de la part des prescripteurs puisque les méthodes de dimensionnement actuelles et tirées des travaux de l'IRSTEA et de certains Conseils généraux comme celui du 45/89 ont permis d’obtenir un modèle français performant.

Rappelons à cet effet que la technique en question est d’abord apparue de manière significative en Allemagne et au Danemark et que les premières approches françaises au début des années 90 n’étaient pas pleinement satisfaisantes du fait, entre autres, de choix hasardeux de la granulométrie de la couche de drainage, du nombre de lits et de la surface spécifique des lits.

L’usage était en effet de prévoir des installations avec seulement trois lits, à 5 hab/m², jusqu’à 100 kg MS/m²/an et un sable 0/2 en surface filtrante.

Ces premiers dimensionnements conduisaient à une superposition de contraintes qui ne pouvaient que conduire à une réduction drastique des performances et à une augmentation des difficultés d’exploitation et donc des coûts. Il était ainsi rare de dépasser les 9 % de siccité (même après mise au repos du lit) et les 4 à 5 ans d’autonomie, même sur des installations qui n’étaient pas à capacité nominale.

Le modèle Français

Au fil des années, la connaissance accrue de ce procédé et les travaux de l'IRSTEA complétés par les optimisations de quelques épurateurs ont conduit à un système mature beaucoup plus fiable, mais bien entendu plus coûteux à l'investissement. Les dimensionnements actuels se font donc sur 4 à 8 lits (jusqu’à 12 lits parfois mais cela complique inutilement l’exploitation), moins de 2,5 EH/m² et une couche filtrante constituée d’un matériau de granulométrie beaucoup plus grossière de type 2/4 ou 4/8 complémenté parfois de compost grossier par-dessus. Ces « lits modernes » permettent d’obtenir des résultats beaucoup plus probants que les premières générations avec des siccités de l'ordre de 18 à 25 %.

L’amorçage des lits

Il subsiste malgré tout une période extrêmement délicate de la vie de ces lits macrophytes qui, indépendamment de leur conception, va conditionner la performance d’épaississement : il s’agit des deux premières années de fonctionnement.

Il est important de comprendre que la filtration des boues fraîches envoyées dans ces lits va se faire par le complexe boues déshydratées/rhizomes qui se forme au fil des envois de boue et de la croissance des roseaux.

Les MS ainsi retenues viennent se déposer à la surface de ce complexe et les matériaux granulaires (graviers) installés lors de la construction du lit avant l'envoi des boues n'est en réalité qu'un support pour le complexe ci-dessus mais ne doit pas être considéré comme filtrant, faute de quoi, si la filtration de la plus fine couche du support venait à être plus efficace que la filtration du complexe boues/rhizomes, nous arriverions à une situation de colmatage du lit.

C'est pour cela que les lits modernes n’utilisent plus de sable 0/4 qui contient trop de fines et réduit de manière paradoxale la capacité de filtration du lit.

Le premier film de boue mettra ainsi plus de temps à se former à la surface du gravier. Il n’est pas rare de devoir envoyer 2 à 3 fois plus de boues que ce que le dimensionnement prévoit en fonctionnement stabilisé et ce pendant 2 à 3 semaines afin de pouvoir former un premier film de surface, une sorte de croûte de boues.

Rappelons que cela n’impactera que faiblement le taux de boues dans le BA puisque ce qui n’est pas retenu dans le lit est renvoyé vers la filière via le poste toutes eaux ou le poste de relèvement.

Un flux de pollution sur la STEP inférieur à 20-25 % posera tout de même quelques difficultés, la production de boues dans ces conditions ne permettant pas raisonnablement l’amorçage du lit sans faire chuter le taux de boues avec des conséquences sur la performance de la filière eau.

Attention, cette étape est assez délicate car dès que le film de boue sera formé, le lit sera quasiment étanche et retiendra presque tout le volume envoyé par la pompe d’extraction ensuite ; le noyage des roseaux est ainsi à craindre si on n’y prête pas attention.

Une visite quotidienne, voire deux, sont donc requises lors de « l’amorçage » de chaque lit et il faut penser à interrompre les extractions durant les week-ends sauf si la présence de l’agent d’exploitation est envisageable.

[Encart : Calcul : Me = [(σ1/c1)(Cp/c2)] x 100 σ1 : siccité boues liquides 0,5 % MS c2 : siccité moyenne dans les lits 12 % MS Cp : charge unitaire sur lits 50 kg MS/m²/an Me : masse d'eau filtrée par m² et par an Ce calcul nous donne : Me = [(50 / 0,5)(50 / 12)] x 100 = 9 584 kg/m²/an, soit 26 L/jour]

Il est donc impératif de maîtriser les apports de boue dans les lits. La méthode la plus accessible et la plus simple pour le personnel d’exploitation est de maintenir une hauteur de boues liquides dans le lit de l’ordre de 20 cm maximum la première année, 30 cm maximum la seconde année, faute de quoi la taille des roseaux ne permettra pas le décolmatage. Pire, les roseaux seront submergés et pourriront. Le respect de cette cote de 20 cm, pour une siccité moyenne de 12 % correspond à un apport de 24 kg MS/m²/an (soit 2 kg MS/m²/mois).

Limitation des apports

Une fois l’amorçage de ces lits effectué, le bon fonctionnement du système de déshydratation passe par le rôle décolmatant des roseaux mais ces derniers sont très loin d’être matures lors des deux premières années, leur efficacité s’en ressent donc négativement.

Lors de leur plantation, les roseaux ne font à peine que quelques dizaines de centimètres de haut (de 25 à 40 cm) et sont peu nombreux (en moyenne 5 plants au m²). Le rôle décolmatant mécanique des tiges est

[Encart : Calcul : Cp = S x H x c2 x 1000 Cp : charge unitaire sur lits en kg MS/m²/an S : surface considérée pour le calcul soit 1 m² H : hauteur de boue soit 0,20 m c2 : siccité moyenne dans les lits 12 % MS Ce calcul nous donne : Cp = 1 x 0,20 x 12 / 100 x 1000 = 24 kg MS/m²/an]

Cette valeur représente 50 % de la charge unitaire nominale (50 kg MS/m²/an).

La tendance actuelle étant de disposer de 25 à 50 % de charge lors du démarrage des petites stations d’épuration, ces conditions peuvent être respectées sans mise en place

[Photo : Roseaux quelques semaines après plantation.]

De filière transitoire complémentaire pour l'extraction des boues comme cela peut être demandé parfois par méconnaissance des réelles limites du système.

Notons que, dans la mesure où la station ne nécessite d’extraire des boues qu’environ trois mois après son démarrage, cet apport de 24 kg MS/m²/an sera réalisé sur neuf mois. L’apport mensuel maximum ne sera alors plus de 2 mais de 2,5 kg MS/m²/mois. Cela représentera donc 60 % des volumes mensuels à capacité nominale.

Nous pouvons donc raisonnablement estimer que, si le flux de pollution de la nouvelle station d’épuration est au maximum de 50 à 60 % du flux nominal, les conditions sont réunies pour que la totalité des extractions de boues puisse être envoyée vers les lits, même dès les premiers mois de fonctionnement.

[Photo : Roseaux à 1 an après plantation.]

La date de plantation des roseaux

Évidemment, cette problématique de hauteur de boues dans les lits est directement liée à l'âge des roseaux depuis leur plantation. Ainsi, si le planning de construction le permet, l’idéal est une plantation des roseaux au mois de mars pour un envoi des premières boues à fin octobre. Les roseaux bénéficient ainsi, dans cette configuration, d'une double période de croissance (printemps et automne).

Dans ce cas, il sera possible de s’affranchir de la limitation de la hauteur de boues de la première année (20 cm max) pour passer directement aux valeurs de la seconde année (soit 30 cm max). Dans cette situation, et selon le même principe que précédemment, les lits peuvent donc admettre la production de boues d'une station chargée à 72 % de sa charge nominale.

Calcul :

Cp = S × H × C₂ × 1 000  
Avec :  
C₂ : siccité moyenne dans les lits 12 % MS  
Cp : charge unitaire sur les lits kg MS/m²/an  
S  : surface considérée pour le calcul soit 1 m²  
H  : hauteur de boue soit 0,20 m  

Ce calcul nous donne :  
Cp = 1 × 0,30 × 12/100 × 1 000 = 36 kg MS/m²/an, soit 72 % de la charge unitaire nominale (50 kg MS/m²/an).

Il convient ici de bien faire la distinction entre l’âge depuis la plantation et l’âge du plant de roseaux. Ce dernier critère n’a que très peu d’impact car, plus les plants seront grands, plus ils mettront de temps à reprendre. De plus, pour une meilleure reprise, la plupart du temps, les paysagistes recoupent les pousses avant de les planter.

En cas de mauvaise manipulation

Si, pour quelque raison que ce soit, un des lits venait à être noyé lors de sa mise en service, le lit ne doit plus être utilisé pendant presque douze mois. C’est la seule chose à faire si l’on veut espérer que ce lit puisse être à nouveau utilisable sans en passer par une étape de curage et replantation des roseaux.

Malheureusement, durant ces mois d’attente, les boues liquides risquent de passer par une étape de fermentation puisque les roseaux vont dépérir, bloquant par la même occasion les apports d’O₂, empêchant la fermentation.

Dans un premier temps, les roseaux vont tous faner, voire se putréfier. Ensuite, les boues dans le lit vont progressivement s’épaissir grâce à l’évaporation de l’eau et à la filtration résiduelle. Lors de cette étape, il ne faut pas espérer une évolution rapide puisque cela va durer plusieurs mois. Cet épaississement…

[Photo : Lit colmaté.]
[Photo : Premières repousses de roseaux.]
[Photo : Surface de boue en partie craquelée.]
[Photo : Lit de nouveau utilisable.]

ment sera assez limité, on peut tout au plus espérer arriver à 5 % de siccité. L'intérêt de cet épaississement des boues est que le niveau de boue va baisser, permettant de remettre les plants de roseaux au contact de l'air.

Lors du printemps suivant, les roseaux vont progressivement reprendre, permettant tout doucement à la couche de boue de continuer à s’épaissir par filtration.

Enfin, le rythme va s’accélérer et les roseaux vont finir par retrouver leur vivacité initiale, complétant enfin la filtration des boues.

Ainsi, la couche de boues ne fera plus que quelques centimètres d’épaisseur et la surface va même se craqueler progressivement.

Une fois la totalité de la surface du lit craquelée, le lit pourra à nouveau être remis en service mais cette fois très progressivement, encore plus que ce qui aurait dû être fait initialement. Le lit va ainsi s’être autodécolmaté permettant un fonctionnement normal ensuite.

La cadence de curage

Lors du choix de cette filière de traitement des boues, l'autonomie de plusieurs années avant curage est un argument de taille pour les maîtres d’ouvrage. Cette technique permet en effet de ne plus se soucier du devenir des boues produites par la station pendant 5 à 10 ans (pas de plan d’épandage, pas de frais d’épandage, …).

Une incompréhension est malheureusement récurrente chez bon nombre de maîtres d’ouvrage.

En effet, le répit des premières années sans avoir à gérer le devenir de ces boues n’est pas reconductible. Une fois que les curages sur le ou les premiers lits ont commencé, les curages des lits suivants vont s’enchaîner, chacun leur tour les années suivantes.

Une fois que tous les lits auront été curés une fois, le premier lit curé devra de nouveau l’être si la conception a été bien faite et le rythme de curage bien mené.

Si l’on considère une durée de vie de 30 ans pour une installation nouvelle équipée de 6 lits, chaque lit sera donc à curer environ 4 fois durant la vie de la station.

Les exploitants devront être extrêmement vigilants et lancer le premier curage bien avant que les lits soient pleins, faute de quoi il faudra effectuer un curage de l’ensemble des lits sur 1 à 2 années.

Cela poserait inévitablement des problèmes lors de la remise en alimentation des lits en boues car il faudra, les premiers mois et jusqu’à la repousse totale des roseaux, reprendre un rythme d’alimentation de 24 kg MS/m²/an mais cette fois la station ne sera plus très loin de recevoir sa charge nominale de pollution rendant cette valeur impossible à respecter.

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