Your browser does not support JavaScript!

Edito

Trauma et inondations

02 novembre 2020 Paru dans le N°435 à la page 3 ( mots)

Ce qu’ont vécu les habitants de la Roya, de la Vésubie, et de la Tinée dans la nuit du 2 au 3 octobre n’est pas une inondation mais un traumatisme. Rien n’est pire que de voir un territoire coupé du monde, ravagé par des pluies torrentielles entrainant des disparitions, des crues, des destructions de bâtiments, voire d’infrastructures plusieurs fois centenaires. 35 km de routes principales et 15 km de routes secondaires ont été ravagés par des mouvements de terrain. Plus de 25 km de réseaux d’eau potable ont disparu ainsi que 6 sites de captage. 10 km de réseaux d’assainissement ont été également emportés, 6 stations d’épuration détruites à Saint-Martin-Vésubie, Roquebillière, Lantosque et Clans. Vendredi 16 octobre, la Métropole Nice Côte d'Azur a voté un budget d’un milliard d’euros pour les infrastructures et d’un peu plus d'un million d’euros pour la revitalisation économique des vallées de la Tinée et de la Vésubie.

En France, le risque inondation est le premier risque de catastrophes naturelles. Cet aléa concerne directement 19 000 communes à des degrés divers dans notre pays, souligne le Centre européen de prévention du risque inondation (CEPRI), et plus de 3,7 millions de logements selon le dernier rapport du Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations économiques (Pipame) « l’eau du futur : enjeux et perspectives pour les entreprises du secteur ».

Depuis 2011, la France s’est dotée d’une palette d’outils réglementaires assez étoffée, d’un Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC), et d’un travail d'inventaire des « inondations remarquables en France », qui capitalise les retours d’expérience pour contribuer à la mise en œuvre de la stratégie nationale de gestion des risques d’inondation. En 2019, à la suite des rapports du CGEDD de février 2017 et mars 2018, issus des réflexions du collège « prévention des risques naturels et technologiques », le Cerema a été missionné pour proposer un cadre commun permettant de faciliter le partage d’expériences entre territoires, tout en prenant en compte les adaptations indispensables aux spécificités de chaque territoire. Ce travail a permis la création d’un guide et d’une méthodologie dont l’enjeu est d’avoir « une vision spatiale du niveau de risque à la fois sur les infrastructures et sur les fonctions du réseau, pour dimensionner en conséquence les budgets d’entretien et d’investissement à l’échelle locale » comme l’explique Fabien Palhol, directeur de la recherche, du développement, et de l'innovation au sein de la Direction Technique Infrastructures de Transport et Matériaux (DTecITM) du Cerema.

Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Les infrastructures en France cumulent un âge moyen avancé, l’héritage de plusieurs décennies d’urbanisme qui ont négligé le risque, des sollicitations d’exploitation en augmentation, des événements climatiques extrêmes et en même temps des plans de réduction des dépenses publiques qui pèsent lourdement sur les investissements pourtant stratégiques. Les effets négatifs des baisses de dotation des agences de l’eau et de l’Etat affectent prioritairement les départements ruraux, isolés et les condamnent à un régime à deux vitesses.  

Mieux appréhender le risque inondation, nécessite donc de poser correctement les termes du débat : en dehors de quelques grands exploitants, les maîtres d’ouvrage restent démunis face aux enjeux de gestion de leurs infrastructures. Parmi les 300 mesures du plan « France Relance », le risque inondation est le grand oublié du plan, s’inquiète à juste titre le CREPI. Le programme Action de cœur de ville qui consiste à redynamiser et requalifier plusieurs villes moyennes de France, ne mentionne même pas l’adaptation au risque inondation alors que plusieurs d’entre elles sont situées en Territoire à Risque Important d’Inondation...

Les Anglais, qui ont connu en 2007 deux vagues d’inondations graves, considèrent aujourd’hui qu’il s’agissait de la crise la plus traumatisante depuis la seconde guerre mondiale qu’ils aient traversée. Ils ont depuis mis en œuvre une politique très volontariste pour que cela ne se reproduise pas. A bon entendeur …

Pascale Meeschaert