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Comment parler des nuisances odorantes ?

02 juin 2022 Paru dans le N°452 à la page 84 ( mots)
Rédigé par : Jean-noël JAUBERT

Dans nos sociétés soucieuses de la qualité de vie et de l’environnement, nos concitoyens sont de plus en plus vigilants sur la qualité de l’air qu’ils respirent. La surveillance participative qui se développe fait cohabiter, de manière très judicieuse, des acteurs de cultures différentes. Pourtant l’efficacité veut que chacun des intervenants, du riverain au chercheur, puisse apporter sa connaissance et la partager avec les autres. Il se trouve que, faute d’une éducation commune, le domaine des odeurs a généré des modes d'expression extrêmement diversifiés rendant bien compliqué le dialogue et l'exploitation des données. Après trente ans d'expérience tant dans l’étude de l’air extérieur que de l’air intérieur ou des matériaux, nous mettons à disposition de tous une voie qui, après un rattrapage de l’éducation omise, est basée sur la décomposition de la perception. Divers résultats justifieront de son efficacité.

Introduction

Si le problème des « mauvaises odeurs » est mentionné dans divers écrits depuis des millénaires, le respect des citoyens, le souci de leur santé et la préoccupation du devenir de la planète, lui accordent une place croissante dans nos préoccupations en même temps que dans nos investigations. Le volume d’air, indispensable à notre vie est en quantité finie sur la terre et y circule librement. Sa pollution, qu’elle soit « naturelle » ou du fait de l’homme, est un problème pour tous. Si les équipements analytiques permettent d’en connaître une bonne part, pour la population le seul accès reste le système olfactif (à l’exception de certaines métropoles où la pollution est également visible). Ceci entraîne un accroissement de la vigilance olfactive, du moins dans les civilisations qui ne se posent pas la question de leur survie au quotidien.
L’étude de ce problème est naturellement déclenchée lorsque des personnes expriment leur gêne olfactive. Mais le décryptage des verbatims recueillis est compliqué par la participation de très nombreuses composantes, manifestant l’agression subie (« ça pue, c’est dangereux… ») mais ne décrivant pas objectivement « l’odorité ».
L’ « odeur » devient ainsi un souci majeur, qu’il s’agisse de l’air extérieur, de celui de l’habitation, du bureau ou du véhicule ou encore de celle de tel ou tel matériau ou objet prenant ainsi le pas sur l’ancestrale attention portée à nos aliments. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle pour ne pas naviguer dans une confusion qui risque de ne pas permettre de traiter raisonnablement le sujet. En effet dans notre langue le mot « odeur » est polysémique. Nous l’utilisons dans trois acceptions principales [Jaubert JN, 2011] :
  • une perception : « perception des odeurs  : conscience de l’effet de substances volatiles par l’organe olfactif » selon la norme AFNOR ISO 14532 (2014) ou ISO 5492 (2008). Pour la clarté de cet article, nous lui réserverons la dénomination odeur stricto sensu. Plus vaste, le ressenti de la personne se compose certes principalement de l’odeur selon cette acception mais aussi d’informations parvenant à la cognition par d’autres voies (intérocepteurs, informations, vue, circonstances, nerf trijumeau…) plus proche de la définition de la norme AFNOR ISO 12219-7 (2017).
  • une propriété organoleptique : « l’attribut organoleptique perceptible par l’organe olfactif quand on respire certaines substances volatiles » selon la norme AFNOR EN 13725 (2003). Nous reprendrons le terme d’odorité du Professeur J. Le Magnen pour désigner cette qualité.
  • une substance : «émanation volatile qui se dégage de quelque chose et que l’on perçoit par l’odorat » selon le dictionnaire Larousse. Couramment cette définition est élargie en ajoutant aux molécules de l’émanation la matrice qui l’a supportée. Nous les dénommerons des odorants.
Si, dans le langage courant, ces trois acceptions sont utilisées indifféremment et parfois simultanément dans une même phrase (nous garderons alors le terme « odeur » entre guillemets), nous nous efforcerons, dans cet article, de bien les distinguer car, il va de soi que leurs études ne devraient pas utiliser les mêmes moyens d’investigation contrairement à ce qu’il se fait parfois. Les deux grandes voies dont nous disposerons sont :
  • les approches physico-chimiques (CPG-SM, nez électroniques…) [Persaud K., Dodd G., 1982] ne peuvent renseigner que sur cet aspect des odorants.
  • les approches sensorielles répondront à la connaissance de l'odorité, par définition, de l’odeur et, avec d’autres composantes, du ressenti. Chacun des cas fera appel à des types de méthodes différentes.
S’il est souvent intéressant de juxtaposer ces deux voies, leur hybridation ne sera possible que le jour où nous aurons pu nous assurer de l’appui de variables auxiliaires biunivoques.
La première voie a très valablement été développée par de nombreux scientifiques. Aussi, nous restreindrons cet article à une partie de la seconde voie sur laquelle il existe plus de fluctuations. Nous considérerons essentiellement la manière dont les citoyens ou les jurys décrivent les qualités odorantes, en recherchant comment il est possible de s’exprimer sur ce sujet le plus « naturellement » en fournissant des données exploitables dans le monde des sciences humaines, ou comment proposer une approche rigoureuse que l’on pourrait traiter par des sciences exactes.

Expression de la gêne olfactive

Seuls ceux qui subissent des nuisances odorantes dues à l’émission de composés odorants émis par des matériaux ou directement rejetés mais toujours véhiculés par l’air, peuvent réellement exprimer la gêne olfactive. La gêne ressentie par un sujet est directement la sujétion déclenchée par sa propre perception des odorités présentes, complétée par des composantes psycho-socio-culturelles et circonstancielles [Jaubert JN, 2005, Popa & al. 2011].
Fig. 1 : Les stations d’épuration, si indispensables autour de nos villes, ne sont généralement pas les bienvenues dans l’environnement des habitants. Elles doivent mettre en œuvre d’infinies précautions pour éviter leurs émissions d’odorants dans l’atmosphère.

Ces sujets posent le véritable problème qu’il est indispensable de connaître au travers de leurs commentaires. Des entretiens ponctuels, le développement du contenu des plaintes spontanées ou sollicitées sont de bons moyens d’informations. Mais si l’on souhaite avoir une représentativité de la population, il faudra faire appel aux protocoles de sondage afin d’obtenir un échantillon pertinent d’interlocuteurs. La difficulté dans l’exploitation des verbatims des entretiens réside dans le fait que, pour les odeurs, les sujets font appel à des données très diverses en utilisant un vocabulaire personnel [Brancher M., De Melo Liisboa H., 2014].

Reconnaissance du pollueur

Bien souvent, pour les problèmes de pollution de l’air extérieur, l’interlocuteur identifie la source de ses maux et la nomme dans sa plainte, surtout lorsque le phénomène est récurrent. Toutefois, il peut arriver que le sujet soit abusé par d’autres informations, que la source soit bruitée par d’autres pollutions ou qu’elle soit elle-même changeante. Des émissions nouvelles peuvent ne pas être identifiées. Pour l’étude de la situation cette information est toujours fort utile, tout en sachant que d’autres moyens d’investigation doivent la vérifier et la justifier. En revanche, la source d’une pollution de l’air intérieur est souvent bien plus délicate car toutes les émissions se mélangent rapidement, se confondent demandant des investigations très profondes pour les trier [Jaubert JN, 2021]
Valence hédonique du ressenti
Faute d’autre outil disponible, l’appréciation hédonique d’une perception olfactive est souvent la première expression que donne spontanément un sujet naïf [Bensafi M., 2001]. Le niveau de gêne traduisant en bonne part l’appréciation qu’a le sujet de sa perception, intègre en plus de très nombreuses composantes dans lesquelles le sujet intervient lui-même. S’il est communément admis qu’un signal trop important engendre systématiquement un désagrément, que ce caractère odorant ait été jugé agréable ou non à plus faible concentration, l’attribution d’une valence hédonique positive ou négative à un odorant, n’a rien d’inné et encore moins d’inhérence aux molécules comme certains, semblent le croire, probablement abusés par des convergences culturelles évidentes (par exemple, à la suite de l’éducation à la propreté). Cette appréciation varie d’ailleurs beaucoup selon les sujets et leurs expériences mais aussi, pour un même sujet, selon les circonstances, les lieux, les heures et, au cours du temps, en fonction des acquis accumulés ou des interventions d’autrui. Il n’empêche que cette donnée est indispensable à l’étude d’une nuisance.
Certains auteurs ont pris en compte l’expression de l’acceptabilité de la nuisance, notion qui va au-delà de la simple valence hédonique en intégrant des affects [Clausen G., 2000].
Expression de l’intensité de la perception
Même si chacun se sent tout à fait capable d’apprécier la force d’un signal et de ranger différentes sollicitations, il doit aussi être conscient que les différences de sensibilités aux composés odorants des sujets sont importantes, bien connues depuis longtemps. Pour l’ensemble des sujets que nous avons eu le plaisir de rencontrer au cours de notre carrière tant dans les universités que dans les entreprises ou auprès des jurys, nous avions pu observer que la distribution des sensibilités mesurées par le niveau limite de reconnaissance1 (nlr) s’étend de 1 à 10 pour l’acide butyrique à 1 à plus de 2 000 pour la vanilline.

Expression de la qualité de l’odeur

Le caractère odorant se révèle à partir de la sélection personnelle des terminaisons nerveuses activées par les odorants. Comme pour tout ce qui est relatif à l’olfaction, nous ne possédons pas d’outil commun qui permette de décrire cet aspect des nuisances. La personne n’a pas d’autre choix que de faire appel à des métaphores pour pallier cette carence [Digonnet R., 2016]. Ces métaphores sont essentiellement piochées par la personne dans ses propres souvenirs qui surgissent au moment de sa perception. Parmi ces souvenirs, elle peut trouver une association sur laquelle elle a eu la possibilité d’acquérir un vocabulaire. Cette association peut être pertinente, par exemple quand il s’agit de reconnaître la source (« ça sent l’usine d’aliments pour animaux ») mais aussi plus nébuleuse quand c’est le souvenir d’une situation dans laquelle l’odorité est intervenue (« ça me rappelle mes vacances à Concarneau »), avec de nombreux autres cas de figure dont des transpositions dans d’autres sens (« odeur sucrée », « verte », « acide »). Cette situation est due au fait que l’éducation du jeune enfant conduite dans les domaines de l’ouïe ou de la vue, n’a pas existé dans celui de l’odorat. Cela nous a contraint à devenir tous (chacun à sa manière) des autodidactes [Candau J., 2016].
Fig. 2 : Différences des sensibilités entre deux membres d’un jury de dix sujets pour seize référents du Champ des Odeurs (CdO). Sur cet exemple, le sujet Yv demande une concentration 100 fois moins élevée que celle du sujet Mi pour percevoir le nonanal ; par contre le sujet Yv a besoin d’une concentration 250 fois plus élevée que le sujet Mi pour percevoir le disulfure de diméthyl (dmds) mais ils sont égaux pour le furfuryl mercaptan….

Souvent assez dispersées, instables, changeantes avec la concentration de l’odorant, malcommodes à interpréter et à partager, ces expressions sont bien difficiles à utiliser. Un même mot ne recouvre pas nécessairement la même odorité chez tous les sujets ou, même, d’un moment à l’autre et les sujets ne désignent pas de la même manière une même odorité en fonction de leurs vécus propres. La communication n’est pas toujours parfaite. [Baccino T. & al., 2010]. L’expression de l’odeur ne désigne pas seulement un objet mais traduit toute la vie du sujet « Sous les dires de l’odeur, il y avait des relations à l’habitat, au corps, à la mère, au partenaire qui sont, en réalité, perçues comme des royaumes olfactifs ». [Sompairac L., 2021].

Pour en tirer profit et présenter des résultats, le responsable de l’étude doit en faire une synthèse. Mais nous verrons plus loin que ses critères d’agrégation des dires de chacun n’ont rien d’évident.
Troubles et dangerosité ressentie
On peut distinguer dans les molécules odorantes deux familles de caractères physico-chimiques :
  • ceux que nous nommerons généraux (CPCG) qui peuvent réagir avec des cellules ou d’autres molécules de l’organisme et avoir des conséquences graves (toxicité) ou non comme toute autre molécule inodore. Nous laisserons cet aspect, réservé aux études de risques sanitaires basées sur des résultats d’analyses physico-chimiques, à d’autres articles.
  • ceux que nous nommerons particuliers (CPCP), mal identifiés et normalement inclus dans les CPCG, dont l’effet se limite strictement à l’activation, une fraction de seconde, des protéines réceptrices heptahélicoïdales du système olfactif. Des troubles de nature différente ne débutant que par les voies nerveuses, peuvent alors se manifester. Ce sont ces troubles, plus ou moins handicapants et effectivement liés au caractère odorant, dont font état les personnes concernées. Mais s’y ajoute l’angoisse, de crainte que ces troubles ne constituent que le signe visible d’effets toxiques (liés aux CPCG) bien plus graves. [Legout C. & al., 2021]. On retrouve en cela, l’un des rôles souvent attribués à l’olfaction : alerter, à distance, d’un danger. Un nouvel effluent dans le paysage odorant d’un sujet déclenche naturellement son inquiétude surtout s’il y trouve un caractère désagréable même si cela ne constitue une condition ni nécessaire ni suffisante et selon la nature de la source qu’il lui attribue et les informations diverses qu’il a pu recueillir. Il y a d’ailleurs souvent un décalage entre l’état de santé perçu et l’état de santé médical du fait de caractères personnels très variables [Daniau C. & al., 2018].
Néanmoins cette inquiétude dont le sujet parle en priorité, exige d’être traitée dans le meilleur délai et demande une réponse convaincante.
Informations sur les circonstances
Les observations émises par une population lors de sa confrontation à une pollution odorante sont utiles aux études. Elles sont souvent faites sur le long terme et portent sur des critères qu’il n’est pas toujours commode de saisir dans des études ponctuelles. Les fréquences, les dates et heures, les conditions météorologiques, les manifestations visuelles ou sonores de l’activité du site, les lieux ou l’occupation de la personne sont autant d’informations bien utiles. Tous ces critères offrant un vocabulaire très accessible, c’est un moyen de parler facilement des nuisances odorantes. Il restera à paramétrer ces données pour les faire entrer dans le constat de la situation environnementale.

Des données diverses

S’ajoutent, éventuellement, des remarques concernant la communication avec les différentes entités concernées ainsi que des questions socio-économiques et éventuellement politiques sans oublier la restitution d’informations recueillies auprès de différents média et réseaux sociaux. L’impression de ne pas être écouté, souvent présente, laisse à la fois un sentiment d’abandon et de révolte.
Ce sont tous ces éléments qui contribueront à formuler une plainte [Van Harreveld AP., 2001] et en feront le discours. Si plusieurs des éléments que nous avons abordés peuvent être exprimés clairement et sont parfaitement paramétrables, l’expression du caractère odorant de la nuisance, son intensité et son effet déplaisant, laissent le chercheur perplexe sur leur contenu et bien embarrassé pour les exploiter. Aussi plusieurs palliatifs ont été envisagés. Soumis à une pollution osmique de l’air, une personne, pour décrire l’odeur, devenue gêne, fait naturellement appel à tous ces registres qui vont bien au-delà de la simple qualité odorante à laquelle nous voulons consacrer cet article et qui sont utilisés de manières diverses [Brancher M. & al., 2017]. Diverses études ont cherché à faire une synthèse de ces différentes composantes ne laissant d’ailleurs qu’une part congrue à l’odorité [Nicell J., 2009].

Intervention de jurys

Les voies d’investigation sont nombreuses [Bax & al 2020] mais la sélection d’un petit groupe d’interlocuteurs privilégiés permet de diminuer le nombre de variables de l’étude et d’avoir un suivi organisé des observations avec le souci de rechercher une certaine objectivité qui permette de développer la connaissance de la situation, en mesurer les paramètres et en rechercher les démarches correctives. Toutefois, il faut prendre conscience que plus le nombre d’interlocuteurs est réduit, leur mode d’expression limité et leur formation importante, moins il représente le naturel du ressenti des habitants. Le recrutement du jury, sur la base du volontariat, ne permet pas d’assurer la validité de l’échantillon.

Les approches concernent plus souvent des riverains de sites émetteurs pour la qualité de l’air extérieur. Mais nous avons eu l’occasion d’employer des démarches analogues à l’intérieur de locaux industriels, d’un ERP ou dans un habitacle.

Avec une formation minimale
  • a- Il est possible de demander aux sujets de coter leurs perceptions selon la méthode d’estimation de la grandeur (norme AFNOR V09-019 (1990)). Beaucoup de jurys fonctionnent avec un simple ordonnancement d’adjectifs sur lequel ils doivent positionner leur ressenti. Cette grille semble simple à assimiler et la période scolaire a familiarisé la pratique de la notation. On trouve par exemple :
    • une série de qualificatifs ordonnée en neuf points (norme AFNOR XP 09-500 (2000)) ou une cotation de – 4 (très déplaisant) à + 4 (très plaisant), pour la norme VDI 3882-2 (1994) ou [Fengyue Yan & al., 2021] pour la cotation hédonique. Mais avec toutes les composantes qui interviennent, la perception olfactive d’une même molécule peut être sympathique ou particulièrement insupportable, voire la cause de troubles physiologiques [Pierrette M., 2009]. Sans compter qu’au cours de sa vie une personne peut apprendre à aimer certaines notes odorantes et en détester d’autres selon le souvenir qu’elle leur rattache [Herz R. & al., 2004].
    • une cotation étalonnée selon la norme AFNOR NF X 43-103 (1996) ou de 0 (non perceptible) à 6 (extrêmement fort), dans la norme VDI 3882-1 pour approcher la notion d’intensité.
    • Il reste difficile de connaître comment chacun interprète les qualificatifs indiqués et les traductions chiffrées présentent l'inconvénient de se voir utilisées en nombre et de leur appliquer, de manière abusive, les opérations arithmétiques.
  • b- on peut aussi demander au sujet d’identifier une source. Sa formation se limite alors à la mémorisation de sa perception de l’émission de la source. Les nez sont formés à reconnaître les sites émetteurs, soit par une visite des sources, soit par la répétition de l’olfaction de sacs contenant des prélèvements des émissions de ces sources, soit encore par l’olfaction des échantillons ou des reconstitutions de ces sources [AIRFOBEP, 2010]. La formation est brève et demande un minimum de préparation pour avoir des sujets efficaces.
    Cette démarche est intéressante et devrait permettre de bien identifier les sources qui envahissent les espaces de vie. Elle permet de cartographier les emprises d’une source [Teixeira S. & al. 2021] mais difficilement de l’étudier. Elle présente cependant quelques risques :
    • Il est certain que tous les sujets n’utilisent pas les mêmes informations odorantes de l’air étudié.
    • Les sources rejettent des mélanges complexes et ne sont pas toujours d’une parfaite stabilité dans leur composition. De plus, dans la pratique, nous avons à faire à des sources multiples dont la combinatoire n’est pas une constante.
    • D’autres effluves peuvent intervenir au niveau du point d’olfaction et la précision des souvenirs olfactifs n’est pas toujours très élevée.
    • Les caractères odorants des émissions évoluent rapidement et ne sont pas le plus souvent les mêmes à la réception ainsi que nous avons pu le montrer dans l’étude réalisée sur la ZI du Havre lors d’un incident marqué en octobre 2001 [IAP-Sentic 2009a]
    • Enfin les sujets, ayant un choix limité, peuvent se laisser aller à la facilité pour nommer l’origine des « odeurs ». En outre, comme on leur demande de jouer le rôle de juge d’une situation dont ils sont victimes, toutes les parties risquent de ne pas suivre leur avis en y trouvant un peu de partialité.
  • c- l’acceptabilité ou la gêne peuvent aussi être appréciées auprès d’un jury d’une manière générale ou au travers de « l’indice de gêne ».
    Dans cette démarche il est demandé au riverain d’exprimer l’intégration de la totalité des données apparue après une sollicitation par des molécules odorantes : son ressenti. Cet indice développé par EP KOSTER [1991] a été repris dans la réglementation française [JORF 2003].
    Ce protocole présente l’avantage de fournir un chiffre synthétique, commode d’emploi traduisant les ressentis d’un petit groupe de sujets et de suivre son évolution dans le temps et dans l’espace ou selon les conditions météorologiques et le programme d’activité du site. Il présente comme inconvénient d’exprimer indifféremment une masse importante d’informations dont les émissions du site n’en sont directement responsables que d’une partie. De plus il reste délicat de s’assurer de la représentativité des membres du jury, généralement recrutés sur la base du volontariat. Enfin cette démarche ne renseigne pas sur le caractère odorant de la pollution (odorité) ce qui ne permet pas de s’assurer que tous les sujets parlent de la même chose, ni que l’information n’est pas bruitée.
Encadrement de la communication
Certains descripteurs utilisés par les riverains pour parler de la gêne ressentie sont parfaitement paramétrables et donc directement utilisables pour une étude. On aura compris que le plus délicat reste la qualification du caractère odorant de manière partagée. Le responsable d’une étude sur une pollution atmosphérique, se retrouve devant une collection hétérogène de « descripteurs » souvent inconciliables mais qu’il faut cependant rassembler pour trouver une conclusion concise. Cela a conduit à trouver un minimum de rationalité dans des protocoles de regroupement.
Agrégation des qualificatifs :
Selon les professions, les objectifs, les connaissances et les cultures, il est possible de convenir de règles d’associations différentes des qualificatifs qu’utilise un sujet pour parler des avatars de ses perceptions [Jaubert JN 2017]. Trois grandes voies sont possibles :
  • une approche purement sémantique (sur le signifiant) en regroupant des mots qui ont la même racine, par exemple vert et verdure ;
  • une approche sur le sens du mot (signifié) en faisant appel à des règles d’agrégation piochées dans divers espaces : par exemple, la morphologie végétale pourra regrouper cassis, durian, figue, fraise ou pomme, … qui sont des fruits (bien différents) et donneront le « descripteur » « fruité ». Dans cette voie, citons encore celle du rassemblement des items dans une même enveloppe comme la dénomination unique de « poubelle » ou « déchets ménagers » qui contiendra tout ce qu’elle peut contenir : épluchures, pourriture, rance, reste de poisson ou de viande ou produits lactés (rances), cartonnages mouillés…
  • une approche, mimant, le fonctionnement du cheminement des pensées un peu à la manière du « jeu des queues de mots » par des associations souvent enchaînées dans la vie courante : le choix de grouper gasoil, goudron, grillé, brûlé, café, bar…, ou bien gasoil, goudron, grillé, brûlé, pneus, décharge….
  • enfin, tout simplement, l’agrégation se fait tout simplement en ne retenant que l’item qui a recueilli la plus haute fréquence de citation.
Ces mécanismes de regroupement sont d’ailleurs utilisés simultanément : ainsi, vert et verdure ont la même racine, puis plantes et herbe sont aussi de couleur verte, foin est aussi de l’herbe même séchée à la campagne… Il peut alors être évident de mettre tous ces mots ensemble et de les agréger autour du mot herbe par exemple. Les critères d’associations simples pour certains, ne sont pas toujours évidents pour tous [McGinley & al., 2000]. Certains auteurs ont aussi intégré l’odorité de molécules trouvées dans les analyses des effluents gazeux par GCO par exemple [Brattoli M. & al., 2013] et recherché un peu de rationalité dans cette démarche [Cariou S., 201 7]. On trouve aussi comme agent fédérateur une émotion comme celle ressentie de l'"agressivité" de l'odorité des matières fécales, le vomi, l’œuf pourri, le rance, la viande crue, ….
Pour en clarifier l’emploi les équipes en donnent souvent une représentation traduisant une classification du vocabulaire des perceptions olfactives. Les formes en sont multiples, mais dans le monde de la pollution osmique, la « roue » a eu toutes les faveurs. Il y a ainsi des roues pour l’eau usée ou pour l’eau potable, des roues pour le compost, les décharges, les fermes ou pour telle ou telle ville mais aussi des roues de l’haleine, de l’urine, du corps… [Burlingame GA., & al. 2004 ; Quercia D. & al., 2015 ; Bian Y. & al., 2021],
Ces démarches bien que peu rigoureuses, ont l’avantage d’être tout à fait accessibles à la population et fournissent des informations assez proches des dires des habitants.
Canaliser les évocations
Il est possible d’aller plus loin en imposant aux jurys de n’utiliser qu’un vocabulaire réduit, puis un nombre limité d’évocations provoquées par des odorants répertoriés :
  • Le corpus de mots provient généralement des démarches ci-dessus avec quelques mots simples : déchets ménagers, gaz de fermentation, déchets banals et autres [AIR PACA, 2014], il peut aussi être plus précis en citant des molécules et des niveaux d’intensité avec l’échelle n-butanol [Odournet, 2019].
  • Cependant, les mots laissant une grande place à l’interprétation personnelle, d’autres équipes ont voulu donner un contenu concret à ces mots pour figer l’évocation qu’ils entendaient faire correspondre. Ils proposent donc aux sujets, des prélèvements, des compositions ou des molécules seules pour faire naître dans leur esprit une image qu’ils devront apprendre ou à l’inverse fixer le contenu de leurs images. De nombreux tableaux existent à cet effet [Feilhes C., 2022]
C’est ce type d’association qui est attendu des sujets entraînés selon la norme AFNOR NF V 09-006 [1989]. Les formations sont généralement assez rapides, cette relation censée être assez intuitive. Le corpus de mots à utiliser est obtenu par consensus sur la base des perceptions d’effluves à étudier, chaque mot devant traduire l’image laissée par un corps défini ou un mélange (voir norme AFNOR EN 13299 (2016)).
C’est souvent à ce niveau que se situent certains réseaux de nez ou observatoires des odeurs. Les formes en sont diverses et leur travail, bien interprété, contribue à l’amélioration de la qualité de l’air : du simple dénombrement d’occurrence d’odorants à des réponses plus élaborées de jurys formés. [ATSDR, 2016 ; Bian Y., & al., 2021].
Contrairement aux attentes, cette démarche laisse toutefois apparaître un peu de confusion dans les réponses pour des raisons aisément explicables :
  • tant que les substances proposées ne sont pas des molécules isolées et dont la pureté odorante2 a été éprouvée, il est bien hasardeux de savoir ce que chaque sujet perçoit exactement ; ce n’est probablement pas la même chose d’une personne à une autre ni la même chose, pour une personne donnée, selon la concentration du mélange ;
  • les associations elles-mêmes changent avec la concentration de la molécule, ce qui est bien compréhensible : une même molécule est susceptible d’être présente à des concentrations différentes selon les produits dans lesquels elle se trouve ;
  • les évocations ne sont pas figées et évoluent en fonction des circonstances, du moment et des acquisitions du sujet au cours de sa vie ;
  • il en découle que l’évocation proposée ne peut pas avoir le même sens pour tous : ainsi, tel sujet ne comprenait pas qu’il faille décrire comme « fruit rouge » la perception de l’acide isovalérique à laquelle il attribuait plutôt l’image de fromage ;
  • l’ensemble des évocations supposées représentées par un même odorant ne fait pas obligatoirement l’unanimité dans le jury ;
  • rien ne peut assurer que différents jurys vont travailler de la même manière ou assurer une constance dans le temps.
Des efforts de rationalisation ont plutôt porté sur l’aspect quantitatif [Turek P., 2021] et il a donc été utile de rechercher une approche plus rigoureuse et plus consensuelle pour les cas où les objectifs de l’étude exigeaient de caractériser le caractère odorant de la nuisance.

Contribution de l’analyse olfactive

Une grande frustration naît dans la majorité d’entre nous lorsque nous voulons partager nos perceptions olfactives. Nous ne trouvons pas de vocabulaire objectif et, un peu de réflexion nous fera comprendre que nos seules expressions ne représentent que les souvenirs personnels que nous avons associés à cette perception et pour lesquels nous avons emmagasiné des descripteurs. Mais cette transposition intersensorielle, si elle est vantée par les poètes, n’a rien d’une propriété moléculaire et rien d’inné et est tout à la fois malléable et évolutive. Malgré tout, par le passé, quelques travaux ont été construits sur une hypothèse inverse [Dravnieks A., 1985]. Reste à trouver une outil qui puisse aussi permettre de dépasser l’emprise des affects auxquels sont soumis les démarches sensorielles [Daniel FJ, 2020] et atteindre une certaine objectivité.
Fig. 3 : Une vue du mobile donnant la structure de l’espace obtenu à partir de 1 396 molécules odorantes. Elle est utilisée comme code de base pour constituer un langage commun. Dans cette vue, le référent 37 est caché par le 41 ; 33 et 34 d’une part et 22 et 31 d’autre part sont très proches.

Vers un lexique commun

Mise en place d’un code commun
C’est pour pallier cette difficulté qu’a été mis au point en 1983, un langage avec pour vocation d’être mis à la disposition de toute personne souhaitant avoir un outil de communication efficace. Le principe simple, en a été directement inspiré des autres domaines : parole, lecture, musique, couleurs, formes, mathématiques, etc… : offrir un code de signifiants/signifiés biunivoque, simple, stable, clairement identifié et, si possible, structuré pour en faciliter l’apprentissage et l’utilisation. Ce code ne pouvait être constitué que de molécules soigneusement isolées à la pureté odorante contrôlée pour ne pas risquer de proposer un mélange du fait des impuretés. Ce code reprend directement la structure obtenue dans une recherche sur la relation entre les structures chimiques et les caractères odorants, conduite au CNRS [Doré JCh & al 1984] entre 1977 et 1983 : le « Champ des Odeurs » pour les caractères odorants [WIKIPEDIA 2021] et son pendant, le « champ d’ESCO » (éléments de structure chimique d’odorants), pour les caractères chimiques des mêmes molécules [Jaubert JN, 2021].
Comme pour l’apprentissage de la correspondance entre les sons et les syllabes, il suffit dans cette démarche d’apprendre à associer la perception d’une odorité au nom d’une molécule. Quel que soit l’imaginaire, les souvenirs, les associations déclenchées dans le cerveau, le couple odorité/dénomination restera le même. Le code de base comprend 46 molécules nommées « référents » (chacune porteuse d’une odorité dite « note odorante »). Il convient de le compléter en cas de besoin particulier (par exemple pour affiner une description). Il va de soi, que, dans la pratique, chaque démarche n’utilise qu’une partie de ces référents (en général, une quinzaine suffit très largement), par exemple, le jury de veille olfactive externe, autour d’une zone industrielle très complexe, aura pu utiliser les référents de base (n° < 46) suivants : 10-amine, 11-cyclopentanone, 25-pinène, 37-isobutylquinoléine, 39-scatol, 41-phénol, 43-méthional, 44-diméthyl disulfure, 45-diallyl disulfure.
Et, pour apporter une précision, une discrimination, une caractérisation importante ou utiliser le traceur particulier à une source, les référents complémentaires (n° > 46) suivants : 48-propyl mercaptan, 53-hydrogène sulfuré, 55-styrène, 56-sulfure de limonène, 58-thiomenthone, 59-furfuryl mercaptan, 64-hypochlorite de sodium, 70-acide acétique.
Un langage pour communiquer
Le code bien assimilé, l’apprentissage de son utilisation se fait [Jaubert JN, 2017] en quatre étapes :
  • a- isoler dans l’avalanche des informations qui apparaissent à la cognition (voir première partie), celles qui ne correspondent qu’à l’odorité de la substance : les caractères odorants et leurs intensités perçues. C’est incontestablement la partie la plus délicate de la formation car faute d’une éducation dans la prime enfance comme cela a été le cas avec les couleurs, les sujets se sont ancrés, pour parler de leurs perceptions olfactives, dans l’habitude de faire appel aux évocations, souvenirs et affects pour lesquels ils avaient un vocabulaire. Un travail avec des enfants de classes maternelles nous a montré qu’effectivement, ils assimilaient l’approche plus facilement [Duchesne J., Jaubert JN., 1990].
  • b- positionner chaque odorité isolée nouvelle dans l’espace, non par une simple recherche de similitudes ou de dissemblances mais par la recherche des moindres distances comme nous le pratiquons habituellement dans d’autres espaces sensoriels, par exemple dans celui des couleurs avec l’utilisation d’un nuancier tel que Pantone® ou RAL 3.
  • c- analyser un mélange : par définition, la démarche analytique a pour rôle de ramener une donnée complexe en une somme de données simples. Ce que font couramment les parfumeurs, aromaticiens, cuisiniers ou œnologues, reconnaître des éléments dans un mélange, est tout à fait accessible à tous avec une formation adaptée. C’est assez rapidement que nos sujets sont capables de retrouver une odorité dans un mélange, puis deux, puis trois…
    A ce stade il convient de dresser une cartographie des sensibilités des sujets aux principales notes odorantes afin de mieux appréhender les variabilités inter sujets, à utiliser toutefois avec prudence.
  • d- évaluer l'intensité de la perception du sujet pour chaque note détectée en la positionnant sur ses perceptions d’une petite série ordonnée (1 à 5 maximum) de concentrations de chaque référent.
Les caractères odorants trouvés et l’appréciation de leurs intensités permettent de dresser des profils odorants.
L’acquisition d’un langage permet aux sujets de communiquer leurs descriptions et parler des nuisances odorantes de manière presque objective plutôt que de tenter de partager leurs ressentis très personnels. L’usage d’un même langage pour tous garantit l’efficacité des échanges sur des observations réalisées dans des conditions différentes, avec des jurys différents et à des moments ou dans des lieux différents. Aussi faut-il regretter quelques malheureuses copies comme, par exemple, « Odour Sphere » [Bostik, 2021] ou « Langage des nez® » [ATMO NORMANDIE, 2016] qui peuvent brouiller l’esprit des utilisateurs ainsi qu’une mauvaise assimilation de l’approche par certains auteurs [HAWKO C., 2021] qui pourrait apporter un peu de discrédit à la démarche. Heureusement, dans l’ensemble, la méthode et les référents ont bien été conservés.
Fig. 4 : Structure, résultant d’un calcul probabiliste, des caractères chimiques de l’espace obtenu avec les 1 396 molécules odorantes. Les positions des fonctions présentées sont celles où nous avons pu observer une plus grande densité de celles-ci.

Applications de l’analyse olfactive

Si notre démarche a été initiée dans le monde de la parfumerie-aromatique-cosmétique, elle est aussi utilisée depuis la fin des années 80 dans celui de l’environnement intérieur ou extérieur et des matériaux. On a pu constater que les descriptions utilisant cette approche se recoupent bien quel que soit le jury et qu’il se trouve au Havre, à Amiens mais aussi à New Delhi ou Rio ou qu’elles soient faites en 1990 ou 2022. Ce mode opératoire présente en plus l’avantage de prendre en considération la disparité des sensibilités individuelles à chaque molécule. Il est aussi indispensable pour faire le lien non seulement entre tous les facteurs intervenant dans une pollution atmosphérique, mais encore entre les différents partenaires notamment en déplaçant les échanges de l’affectif vers l’objectif. De plus, comme tout apprentissage, il permet de développer grandement les capacités olfactives du sujet et même de combler ce que nous nommons les « anosmies culturelles » ou de faire des rééducations [Kollndorfer K. & al. 2015].
Ainsi, cette méthode nous a permis de traiter plusieurs centaines de cas de pollutions environnementales, en utilisant le « Champ des Odeurs » comme seul mode de description avec des protocoles que nous avons développés pour les adapter à chaque situation parmi lesquelles nous pouvons citer :
Fig. 5 : Observation du caractère odorant global d’une plateforme de compostage à six mois d’intervalle.

Des études en laboratoire 

Le travail en laboratoire permet de maîtriser l’ensemble des paramètres et de s’assurer avec un jury parfaitement formé, de réponses les plus objectives possibles. De ce fait, le jury peut se contenter de trois à six personnes qui donnent nécessairement une réponse très consensuelle.
Ils auront à analyser, à l’état brut ou après différentes dilutions :
  • des prélèvements des rejets d’un émissaire, d’air extérieur ou de locaux et habitacles de véhicules. Ils pratiquent des analyses par olfactométrie statique en identifiant les notes odorantes apparaissant à chaque dilution. Cette démarche a également été appliquée aux différentes dilutions de l’olfactométrie dynamique ce qui en accroît largement l’intérêt.
  • des émissions de matériaux [Nesa D., 2004]
  • la sortie « sniffer » d’un chromatographe. La CPG/SM/O est l’exemple d’un bon outil pour atteindre cette connaissance.
  • des molécules isolées ou des mélanges.
Le couplage avec l’analyse instrumentale est du plus grand intérêt par le dialogue entre les deux types de résultats au travers de l’autre face du Champ des Odeurs : le champ d’ESCO [Jaubert JN., 2021]. Il permet, par exemple, de désigner les composés responsables.
Ces approches donnent une base de communication tout à fait pertinente.
Fig. 6 : Un cas d’observation de l’efficacité qualitative d’un biofiltre. Toutes les notes odorantes ne sont pas impactées de la même manière et le lit de ce biofiltre apporte ses propres notes.

Sur le terrain

L’analyse olfactive se fixe pour objectif de connaître les odorités d’émetteurs et de l’air de transfert. La connaissance des caractères odorants et de leurs intensités permet de dresser les profils odorants de ces items. Ces profils sont obtenus toujours sur le même principe mais au moyen de méthodologies particulières que nous avons pu développer depuis quarante ans pour chaque objectif. Nous citerons :
  • la description objective des odorités d’un local ou d’un habitacle de véhicule ou, plus complexe, d’un site industriel. Cela permet d’en suivre l’évolution dans le temps ou selon l’intervention de telle ou telle opération, intervention, phénomène météorologique….
  • les cartes de l’odorité de sites et leurs synthèses [Jaubert JN., 1995], d’où est tiré un indicateur le potentiel d’émission. Un exemple de profil odorant d’une station d’épuration, réalisé selon le Champ des Odeurs, peut se lire dans le rapport de [Rooryck V, 2008]. Elles fournissent de nouvelles bases pour les modèles de dispersion atmosphérique [BahlalI M., 2018].
  • la qualification des émissions polluantes [ADEME, 2005] et l’appréciation de l’efficacité des mesures correctives [Jaubert JN, 2007].
  • la mise en place des veilles olfactives internes pour surveiller les rejets du site et surtout prévenir tout débordement extérieur à l’image de ce qui avait été initié avec la société Lubrizol [Clicquot de Mentque C., 1997]
  • l’organisation des tournées olfactives qui peuvent se faire par une circulation tout autour du site ou le suivi de panache dans une démarche du type de la norme AFNOR 16841-2 (2016). Elles sont appliquées tant au simple environnement d’un site émetteur qu’à des cartes de quartiers, de villes comme cela se fait par ailleurs mais avec d’autres approches [Perkins C. & McLEAN K., 2020], de département [Jaubert JN., 2000] ou même de région entière comme la Bretagne [Jaubert JN., 1999]. A cette échelle, les déplacements se font dans un maillage principal de 12,5 km en latitude sur 16,5 km en longitude ajustable selon la densité des sources. Par exemple, nous avons ainsi formé des « messagers de l’environnement » qui suivaient l’état odorant autour de stations d’épuration [Isaac-Ho Tin Noe I. & al., 2012].
  • l’implantation des veilles olfactives externes d’investigation pour comprendre les mécanismes de pollution odorante d’un secteur [Jaubert JN., 2004] de manière plus complète que ne le prévoit la norme AFNOR EN 16841-1 (2016) ou simplement de surveillance des émissions d’un site identifié ou de toute une zone industrielle. Cette approche assez complète de la pollution demande des sujets très motivés et la prise en compte les données météorologiques et les activités des sites sources. Les méthodes d’analyse des données deviennent indispensables au traitement des lourdes matrices. Cela permet de connaître la situation odorante de l’air et de suivre très exactement son évolution même sur plusieurs années, identifier la contribution de chaque site et même de chaque source pour chaque note définie et donner aux industriels des priorités pour leurs investissements en mesures correctives [Adam K. & Leoz E., 2007]. Suivre l’évolution des odorités au long du parcours des flux gazeux, mesurer l’effet sur les perceptions d’un traitement de désodorisation…. A titre d’exemple le lecteur pourra se reporter aux différents travaux que nous avons menés sur la ville du Havre durant une dizaine d’années [IAP-Sentic/BURGEAP 2015] ou se faire une idée plus complète de la démarche sur une veille à Amiens [IAP-Sentic, 2009b]. Ces types d’approche se développent régulièrement [Daniel FJ., 2015] et permettent de valider sur le terrain les panaches fournis par les modèles de dispersion.
    Les surveillances de site sont généralement des opérations plus simples mais doivent être plus réactives pour travailler en temps réel afin que l’entreprise concernée puisse intervenir rapidement. Le travail peut être fait en couplant un jury interne et un jury externe. La collecte des réponses des « veilleurs » peut maintenant être facilitée en utilisant des réseaux de communications sur Internet comme Expoll.net de Clauger ou ODO de Atmo Hauts de France.
  • de même que nous réalisons les profils odorants de parfums, arômes des aliments ou produits cosmétiques nous avons pu réaliser les profils des matériaux qu’il est indispensable de confronter, par exemple, avec celui de l’air d’un local pour en apprécier la contribution.
L’objectivité dans les résultats de ces analyses permet de les confronter valablement à toutes les autres approches pour comprendre les phénomènes et trouver des mesures correctives. De plus, l’objectivité fournie par la démarche et le langage commun, améliore encore, par rapport à d’autres démarches, des échanges sains entre les différents partenaires [Cors M. & al., 2017]

Conclusion

Il y a donc plusieurs manières de parler des nuisances odorantes selon l’apprentissage des sujets et les moyens disponibles. Mais il faut prendre conscience que chaque approche donne une catégorie de réponse bien spécifique et non interchangeable. Si l’on veut recueillir l’avis de la population, c’est bien sûr vers elle qu’il faut se tourner au travers des plaintes ou d’enquêtes et sondages en prenant soin d’avoir un échantillon représentatif et non biaisé par une éducation particulière ou des directives spécifiques. A l'opposé, si l'objet de l'étude est de connaître les caractéristiques de la pollution, c'est vers l'analyse physico-chimique qu'il faut se tourner pour en connaître les CPCG et l'analyse olfactive pour en apprécier l'odorité.
D’une manière générale, une bonne connaissance de l’odorité constitue une pièce maîtresse dans ces investigations. C’est l’information la plus objective que l’on puisse atteindre dans l’état actuel des connaissances. De ce fait il est possible d’y rapporter toutes les autres informations, de la chimie aux troubles éprouvés. Elle offre une plaque tournante pour confronter des données de diverses origines comme les émissions d’un matériau et la qualité de l’air de la pièce qui le contient, ou des données de natures souvent bien différentes : psychologiques, médicales, sociales, physiologiques, chimiques, sensorielles, culturelles…. De plus, malgré une mise en œuvre un peu plus longue au début, son usage, au côté d’autres approches, peut rendre de grands services notamment pour expliciter des résultats ou les recouper avec d’autres.
Cependant la définition et la mesure de l’odorité restent le résultat d’une analyse au même titre que d’autres analyses qui pourraient être chimiques : elles restent précises et pertinentes et sont utilisées pour connaître la matière ou les procédés mais restent loin de la vie humaine. Les autres approches, de mise en œuvre plus naturelles, se justifient pleinement selon l’objectif des études et il faut craindre que les personnes formées à disséquer une odorité ne perdent la spontanéité à exprimer leurs émotions. Par exemple, la recherche d’un indice de gêne doit concerner un échantillon représentatif de la population, seule la population peut réellement exprimer l’inquiétude voire l’angoisse, la valence hédonique et l’acceptabilité. En revanche elle ne renseigne pas sur le contenu du phénomène, sa nature et son lien avec la matière. La complémentarité des différentes approches est indispensable à la connaissance complète du monde et en particularité des nuisances odorantes.
Les différentes formes de jurys apportent chacune leurs contributions à la connaissance et la participation des riverains à ces investigations joue, en plus, un rôle social essentiel [Scotto d’Apollonia L. & al 2019]. 

1 Le nlr est l’observation des sensibilités d’un sujet la plus stable que nous ayons pu constater. La méthode consiste à mesurer le seuil de reconnaissance de molécules olfactivement pures mais après avoir appris au sujet à identifier les notes étudiées et l’avoir averti laquelle il devait rechercher. Les essais sont réalisés par une présentation aléatoire d’une série de concentrations de la molécule incorporant des blancs.

2 Il faut bien savoir que la pureté chimique ne garantit en rien la pureté odorante. Des impuretés perçues par notre odorat peuvent être présentes à des teneurs très largement inférieures au pouvoir de résolution de tous nos équipements analytiques. Leur omission a été la cause de bien des erreurs d’interprétation de l’odorité de molécules. La molécule impure se comporte alors comme un mélange qui peut cependant être recherchée par des parfumeurs.

3 Reichs-Ausschuß für Lieferbedingungen (1927)


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